Expérimentation décroissantes #1

L'atelier Veloma, Windcoop.. Les mobilités décroissantes en plein essor

Dans notre hors-série « Décroissance : réinventer l'abondance » avec Timothée Parrique, découvrez 4 expérimentations décroissantes concrètes. Remplacer la « bagnole » par des machines à roues de toutes tailles et poids sur mesure ? C’est le pari de l’atelier Veloma à Bressuire (Deux-Sèvres). De son côté, Windcoop fait le pari du transport maritime de marchandises à voile.

Vélos à deux sièges opposés, vélos cargos à deux ou trois roues, charrettes… Dans l’atelier associatif Veloma de Bressuire (Deux-Sèvres), tout ce qui roule a sa place… tant qu’il n’y a pas de moteur à explosion. Ici, pas de fabrication à la chaîne : tout est fait main et sur mesure selon les besoins de chacun, avec des matériaux recyclés ou fabriqués en France. Les produits ne sont pas préconçus.

Article à retrouver dans notre hors-série « Décroissance : Réinventer l'abondance », disponible en kiosque, librairie et sur notre boutique.

Le marketing est minimal – le site internet affiche seulement des photos des différents modèles créés sans fiche produit ni prix, la publicité inexistante. Ici, l’information circule de bouche à oreille. Avec une centaine d’adhérents pour un chiffre d’affaires d’environ 100 000 euros par an, Veloma est une petite structure dont les revenus permettent de payer le loyer, le matériel et les deux salariés permanents. Profits et croissance sont bannis du modèle.

Diffuser le savoir-faire artisanal… de l’usager 

L’histoire est née en Hongrie. C’est là qu’en 2015 l’ingénieur français Adrien se lance dans un projet de centre logistique Cargonomia avec le chercheur et spécialiste de la décroissance Vincent Liegey, mêlant Amap et transports à bas coûts carbone. La ferme, installée à Budapest, expérimente l’agriculture biologique et la livraison en vélo cargo. Adrien travaille à la mutualisation des véhicules « pour réduire la pression à l’achat », tandis que des étudiants issus des grandes écoles d’ingénieurs françaises se greffent peu à peu au projet pour effectuer leurs stages de fin d’études. Biporteur sans fourche, système de freinage inertiel hydraulique, vélo couché caréné ou en bois… Le lieu est un véritable laboratoire de recherche et de développement de la décroissance. « Le travail créatif est ce qu’il y a de plus intéressant », explique Adrien. L’ingénieur développe cette idée en France : Veloma s’installe à Bressuire.

À l’atelier deux-sévrien, le client n’est pas un simple consommateur. Il participe à la conception de sa machine, parfois jusqu’à son assemblage. « On aime bien faire essayer avant d’acheter ; il nous est arrivé de demander à une personne à qui on avait vendu une charrette de nous la prêter dans ce but. Ensuite, on discute avec la personne de l’utilisation, sur le plan technique, des côtes et des kilomètres… On vend le produit le plus adapté possible », explique Nicolas, salarié de l’association et lui-même ancien stagiaire de Cargonomia. Compter ensuite deux mois pour la fabrication d’une charrette en métal, par l’atelier ou soi-même avec un accompagnement. Plus l’assemblage est facile, mieux c’est. Le prix du kit varie de 500 à 3 500 euros pour les plus sophistiqués.

« On soude les cadres, on fabrique la plupart des roues, on simplifie pour réemployer les matériaux. On utilise des procédés de découpe au laser pour les enchevêtrements complexes. Cela permet à d’autres de ne pas avoir à le faire et de garder la partie noble du travail d’assemblage », décrit Adrien. Ici, pas de secret des affaires. Les plans sont disponibles en open source sur internet pour quiconque souhaiterait se lancer. « La plupart de nos usagers sont ruraux, poursuit Adrien. C’est plus facile de stocker une remorque à trois roues dans une petite ville de campagne… Le foncier est un problème important dans nos usages ! »

Apprendre à ralentir avec les véhicules intermédiaires

Les véhicules dits intermédiaires occupent une place de plus en plus visible sur les routes françaises. Et s’ils sont encore loin de faire trembler le règne hégémonique de la voiture, ils constituent pourtant une alternative de choix pour réduire le trafic et assurer une transition vers la sobriété. Tout véhicule entre le vélo classique et la voiture pesant moins de 600 kilos entre dans cette catégorie. « Leur principal domaine de pertinence est dans les zones rurales où la dépendance à la voiture est extrêmement forte, et où il existe encore peu d’alternatives », note Aurélien Bigo, chercheur sur la transition énergétique des transports associé à la chaire Énergie et Prospérité.


Selon lui, la voiture électrique, vantée par les pouvoirs publics et les industriels comme une solution miracle, ne pourra résoudre à elle seule le problème de la mobilité. La sobriété dans les usages est une nécessité. À commencer par la taille des transports. Selon un rapport récent, 85 % des trajets domicile-travail se font en « autosolisme », c’est-à-dire seul dans une voiture cinq places. 

Les véhicules intermédiaires sont au contraire dimensionnés pour une, deux et plus rarement trois personnes : « Ils sont plus sobres en termes de consommation d’énergie, de ressources, moins coûteux à produire et dans leur usage », défend le chercheur. Pour les particuliers comme les professionnels. 

La clientèle de Veloma comprend ainsi des paysans, des artistes et des artisans dont les besoins vont du transport de leur récolte jusqu’au marché à celui d’un système son. Certains modèles intègrent une dimension électrique selon la demande du client. L’atelier travaille aujourd’hui avec l’Agence de la transition écologique (Ademe) dans le cadre du concours « eXtrême Défi Mobilité », qui consiste à développer de nouveaux véhicules plus légers et éco-conçus, comme la création d’un tricycle à assistance électrique capable de transporter 450 kilos de charges utiles. La recherche et le développement de mobilités alternatives se poursuivent. Reste à convaincre un public non militant.

Le cargo met les voiles

Et si on revenait au transport maritime de marchandises à voile ? L’idée s’est peu à peu installée dans le monde du fret maritime. Le premier prototype français de l’armateur TOWT (TransOceanic Wind Transport) a mis les voiles en août 2024. En 2026, le premier cargo à voile de la société Windcoop sera mis à flot.

Volontairement plus petit et économe que la majorité des autres voiliers, il ne mesurera pas plus de 85 mètres et aura une capacité de 150 conteneurs pour 1 500 tonnes de marchandises. Un poids plume sur l’océan du fret maritime – le plus gros navire moteur pouvant transporter plus de 24 000 conteneurs.

Pour la première fois, Windcoop reliera la France à Madagascar en 27 jours. Les voiles en fibre de verre seront garanties pour dix ans – contre un à deux ans pour de la toile – et fonctionneront en alternance avec un moteur en cas de vent faible ou absent. 


Née en 2022 de l’expérience des cargos à voile de l’entreprise Zéphyr & Borée, la coopérative Windcoop pense le transport maritime sur le mode de la sobriété. « On ne peut pas raisonner les entreprises si elles n’appartiennent pas aux gens, résume son directeur général, Nils Joyeux. Notre engagement n’est pas seulement de mettre des voiles sur un bateau, il faut aussi consentir à ralentir. » La vitesse de croisière est fixée à 8 nœuds – soit 14 km/h, moitié moins qu’un cargo classique.

C’est le cas des deux modèles de la société TOWT qui voguent quant à eux à 10,5 nœuds (19 km/h). Quatre nouveaux bateaux TOWT sont en cours de construction. Objectif de la compagnie : ouvrir la voie à un fret maritime décarboné. « On prône une mondialisation de la sobriété : le meilleur transport est celui qu’on ne fait pas », explique Guillaume Le Grand, son fondateur. Le transport à la voile, plus lent et économe, reste un marché de niche sur une flotte mondiale de 105 500 navires marchands. 

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NUMÉRO 67 : DÉCEMBRE 2024 -JANVIER 2025:
Résistances rurales : Comment lutter contre l'extrême-droite depuis les campagnes ?
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