Cet article a été initialement publié dans le numéro 31 de Socialter, disponible sur notre boutique en ligne.
Des paysans saccagent méthodiquement un champ de maïs, au cri de « OGM non merci ! » : voilà ce qui nous vient immédiatement à l’esprit lorsqu’on parle de lutte contre les organismes génétiquement modifiés.
La scène nous ramène aux grandes heures de l’altermondialisme lorsque, au début des années 2000, la moustache de José Bové faisait la une des journaux et qu’une bande de Faucheurs volontaires remettaient au goût du jour le sabotage comme moyen d’expression politique. Une scène qui, croyait-on, appartenait à un passé révolu : depuis 2008, la culture d’OGM est interdite en France, reléguant la figure du paysan rebelle sur les étagères de l’histoire.
Pourtant, ces actions coup de poing sont toujours d’actualité. Rien que cet été, deux exploitations du Sud de la France ont été visitées par des faucheurs. En Aveyron et dans l’Hérault, des opérations de destruction ont été menées contre des parcelles de tournesol appartenant à la société RAGT Semences. Que reproche-t-on à cette entreprise ? De cultiver des « OGM cachés » – contre lesquels les activistes continuent de se battre inlassablement.
Modifier les espèces plutôt que les croiser
Ces OGM, aussi appelés « nouveaux OGM », sont encore mal connus par le grand public. Jusqu’à présent, les OGM dits « classiques », étaient le résultat de la transgénèse : il fallait transférer le gène d’une espèce vers une autre afin de conférer à un organisme de nouvelles caractéristiques. Par exemple, pour lutter contre la pyrale (une chenille connue pour attaquer les cultures de maïs), on prélève le gène d’une bactérie qui produit une toxine particulière et on l’insère dans du maïs afin de le rendre résistant.
Désormais, les nouveaux OGM reposent sur des techniques dites de « mutagénèse dirigée » : la mutagénèse permet de modifier directement le génome de l’organisme pour y introduire volontairement des mutations, sans avoir recours au génome d’autres espèces. On peut ainsi inhiber ou activer des gènes, les répliquer, provoquer des mutations spécifiques, le tout sans y glisser de matériel génétique étranger.
Cette technique permet, comme avec les anciens OGM, de produire des « variétés rendues tolérantes aux herbicides ». À l’image du célèbre soja OGM « Roundup Ready » de Monsanto, il est possible de modifier certaines cultures par mutagénèse pour qu’elles résistent à l’épandage de produits chimiques censés détruire l’ensemble des végétaux.
En faisant cela, on se débarrasse des « mauvaises herbes », sans détruire la récolte. Aux États-Unis, l’entreprise Cibus commercialise depuis quelques années du colza – « SU Canola » – modifié par mutagénèse, afin qu’il tolère les herbicides à base de sulfonylurée. Sur son site internet, Cibus affirme pourtant vendre des plantes qui ne sont pas des OGM, et promet l’arrivée prochaine de son colza sur de « grands marchés mondiaux ».
Le foisonnement des techniques de mutagénèse dirigée et la rapidité à laquelle avance la recherche permettent d’envisager la conception de produits plus originaux. Une équipe de chercheurs de l’université de Pennsylvanie a ainsi mis au point, en 2015, des champignons de Paris ne brunissant jamais. En utilisant la technologie « Crispr-cas9 », ces derniers ont réussi à neutraliser les gènes responsables de la production des enzymes qui engendrent le brunissement. Le ministère américain de l’Agriculture a autorisé en 2016 la commercialisation de ces champignons.
Ferrari contre bicyclette
« Les nouvelles techniques de mutagénèse sont beaucoup plus efficaces que la transgénèse classique : là où il fallait des années pour obtenir un organisme modifié, à peine quelques heures ou quelques jours sont désormais nécessaires », indique Hervé Chneiweiss, directeur de recherche au CNRS et président du comité d’éthique de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). « Ceci explique que les grandes entreprises aient progressivement laissé tomber l’ancienne méthode. C’est comme si elles avaient le choix entre une bicyclette et une Ferrari. »
Efficacité, faible coût, fort potentiel de développement… La mutagénèse dirigée a beaucoup d’arguments qui plaident en sa faveur. Mais les produits issus de cette technique sont-ils si différents des OGM classiques ? Jusqu’ici, les acteurs de l’industrie des biotechnologies ont pu profiter d’un certain flou juridique. « C’est d’ailleurs l’un des principaux arguments de vente des entreprisesspécialisées », commente une responsable de la campagne anti-OGM pour les Verts au Parlement européen.
« Des acteurs comme Cibus utilisent largement cet argument pour essayer de conquérir le marché européen en contournant les réglementations imposées au commerce d’OGM. D’autant plus qu’il y a un profond rejet chez les consommateurs européens. Pour les produits destinés à la consommation humaine, par exemple, le simple fait d’être estampillé “OGM” suffit à vous priver de débouchés », assure-t-elle.
Des OGM comme les autres pour la CJUE
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a finalement tranché dans un arrêt du 25 juillet 2018 : « Les organismes obtenus au moyen de techniques de mutagenèse doivent être considérés comme étant des OGM », au même titre que ceux issus de la transgénèse. Cette décision fait suite à un recours de la Confédération paysanne, un syndicat agricole français, et 8 autres associations devant le Conseil d’État français.
En étendant sa définition, la CJUE fait rentrer les produits issus de la mutagénèse dirigée dans le champ de la directive « 2001/18 » qui réglemente actuellement la culture et le commerce d’OGM en Europe. Des techniques de mutagénèse plus anciennes, antérieures à la transgénèse, sont également reconnues comme produisant des OGM tout en étant exemptées de réglementation. « Les organismes obtenus par des techniques de mutagenèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps sont exemptés de ces obligations », précise la CJUE.
Les organisations anti-OGM s’étaient manifestées auprès du législateur dès les premières utilisations de la mutagénèse dirigée, affirmant que ces techniques présentaient exactement les mêmes risques que la transgénèse. « Il n’y a aucune différence en termes d’impacts sanitaire, environnemental et économique », fulmine Guy Kastler, responsable du dossier OGM pour la Confédération paysanne. « Ce sont des techniques que l’on ne maîtrise absolument pas », tempête-t-il, inquiet.
Une bataille qui ne fait que commencer ?
Pour Hervé Chneiweiss, cette décision de la CJUE est « raisonnable » et tout à fait compréhensible. « C’est frappé au coin du bon sens scientifique et environnemental », explique-t-il. Les polémiques autour de ces nouveaux OGM ne font néanmoins que commencer. Personne ne connaît encore la stratégie que comptent adopter les grands groupes de la biotechnologie agricole.
« L’arrêt renvoie désormais les débats dans le champ politique. Nous n’en sommes qu’au début et je suis persuadé que le sujet va rapidement faire parler de lui », estime Guy Kastler. « Dans tous les cas, on sait que la transgénèse c’est fini. Elle est trop vieille et marche mal », assure de son côté la représentante des Verts. Les multinationales vont-elles pour autant abandonner la mutagénèse ? « Avec cette décision de la CJUE, nous ne savons pas sur quelles technologies elles vont désormais miser. »
Qui sait ? Vingt ans pile après les premières excursions musclées de José Bové dans des champs OGM, le sujet pourrait bien s’inviter à nouveau au programme des élections européennes de 2019.
Quelques éléments de contexte :
QUE DIT LA LOI SUR LES OGM ? LA DIRECTIVE « 2001/18 »
La directive « 2001/18/CE » (directive du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement) constitue une pièce maîtresse du cadre réglementaire européen. C’est elle qui fixe les conditions relatives aux essais scientifiques et à la mise sur le marché d’OGM (y compris importés).
Elle prévoit des règles d’évaluation des risques, ainsi qu’un étiquetage et une traçabilité obligatoires à tous les stades de la mise sur le marché des OGM et des produits qui en contiennent. Globalement, les procédures d’autorisation de mise sur le marché des OGM sont longues et complexes, et combinent échelons nationaux et européens.
CRISPR-CAS-9 : DE QUOI PARLE-T-ON ?
Crispr-Cas9 est sans aucun doute la méthode de mutagenèse la plus célèbre. Cet outil génétique permet d’éditer directement l’ADN en supprimant ou modifiant des séquences avec une incroyable précision. Souvent comparé à des ciseaux ou à un logiciel de traitement de texte, Crispr-Cas9 permet de modifier à l’envie les caractéristiques génétiques d’un organisme.
Pratique et peu coûteux, l’outil offre des possibilités vertigineuses et ne se cantonne pas à l’agriculture. De nouveaux traitements médicaux pourraient ainsi voir le jour grâce à cette méthode d’édition génétique qui, nous promet-on, sera en mesure d’apporter une solution à certains cancers et maladies génétiques.
Mais qui peut le plus peut le moins, et certains s’inquiètent d’importantes dérives eugénistes. « Un problème avec votre odeur corporelle ? Pas de souci : CRISPR-Cas9 visera le gène ABCC11, qui régule nos effluves. Pour la sensibilité à la douleur, il ciblera le gène SCN9A ; ou LRP5, qui confère une ossature plus dense, ainsi que MSTN, pour une musculature plus robuste », s’amusait ainsi le magazine Science & Vie en juillet dernier (), dans un article au nom évocateur : « Vers des humains génétiquement modifiés ? ».
© Photo de couverture : Matt Kenyon
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