Cinq mois après l’apparition de la pandémie du nouveau coronavirus SARS-CoV-2 en Chine Centrale, environ 4 milliards de personnes sont astreintes à résidence et l’économie mondiale retient son souffle. Le Fond Monétaire International (FMI) prévoit pour 2020 une contraction de 3 % du PIB mondial et pour les années suivantes une récession de magnitude comparable à celle de 1929. Ni les restrictions des libertés individuelles les plus fondamentales, ni l’hécatombe économique et ses conséquences sociales désastreuses n’ont dissuadé les gouvernements d’appliquer les recommandations scientifiques de confinement général. Ces mesures radicales et ruineuses ont été prises pour éviter des millions de morts : le pouvoir politique a maté la machine économique et dompté les populations pour assurer leur propre survie.
Nous apprenons donc qu’il existe un bouton d’arrêt d’urgence, enclenché au détriment de la permanence du système pour préserver la santé publique : voilà la première leçon remarquable de cette crise sanitaire. Remarquable et troublante car la preuve de l’existence d’un tel interrupteur remémore fatalement toutes les fois où il ne fut pas tourné. Depuis les années 1990, plus de 99,9 % des études scientifiques publiées sur le réchauffement climatique s’accordent sur son origine anthropique (The Consensus on Anthropogenic Global Warming Matters, James Lawrence Powell). Une augmentation de plusieurs degrés par rapport à la période préindustrielle des températures moyennes océaniques et atmosphériques impactera inexorablement les conditions de vie de l’ensemble de la population mondiale. Bien que le travail de quantification de cette catastrophe reste conjectural, le nombre de décès prématurés imputables à une augmentation de température de 2°C est estimé autour d’un milliard dans le siècle à venir (The Human Cost of Anthropogenic Global Warming, Richard Parncutt).
Si de proche ou de loin vous participez ou êtes sensibles à la lutte contre le réchauffement climatique, vous n’avez certainement pu résister à la tentation de comparer ces deux crises. Dans les deux cas, la communauté scientifique appelle d’une seule voix à la mobilisation pour éviter la perte de millions de vies humaines. Pourquoi alors les réponses politiques de ces deux crises sont-elles si différentes ? Les mesures qui paraissaient impensables pour réduire les émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) ont été poussées à leur paroxysme pour endiguer la propagation du coronavirus. Que manque-t-il à la crise climatique pour susciter des efforts analogues à ceux de la crise du Covid-19 ?
Et si le réchauffement climatique était instantané et brutal
Les décès de Covid-19 sont dénombrés en temps réel et localisés par pays touchés. Ce suivi sensationnel souligne les ravages de la pandémie et son imminence. Par ailleurs, le choc sanitaire a été inopiné comme en témoigne l’affolement des gouvernements qui, pris au dépourvus, se contredisent régulièrement depuis le début de la pandémie. Cette crise soudaine et violente a créé l’électrochoc nécessaire pour susciter la peur des populations et sommer l’action des pouvoirs politiques.
A l’inverse, les effets du réchauffement climatique sont non seulement projetés à des horizons lointains (2050 ou 2100), échappant aux exigences démocratiques et économiques court-termistes, mais sont aussi diffus et gradués dans le temps, anesthésiant les velléités de mitigation. Cet argument est illustré dans le film Une vérité qui dérange (Al Gore, 2009) par la fable de la grenouille s’accoutumant à l’augmentation progressive de la température de son bain jusqu’à mourir ébouillantée. Légende sans fondement scientifique mais éloquente. Cela fait plus de 50 ans que le sujet occupe le débat public avec ses pourfendeurs (industrie des énergies fossiles), ses rendez-vous annuels (COP) et ses hérauts successifs (Al Gore, Leonardo Dicaprio, Greta Thunberg). Il est à craindre que la lutte contre le réchauffement climatique soit devenue un bruit de fond ressassé et étouffé par la tartufferie des politiques dont la dissonance a fini par galvauder le mot « urgence ». En novembre 2019, le parlement européen déclare « l’urgence climatique » et trois mois plus tard vote en grande majorité plusieurs dizaines de projet gaziers dont des terminaux portuaires d’importation de gaz liquéfié : A force de crier au loup…
Et si le réchauffement climatique était personnel et palpable
L’expérience de la maladie est ontologique et sempiternelle, le spectre des pandémies historiques hante la culture populaire. La menace du virus est alors pressentie intimement, chacun est directement concerné dans sa chair. La mort foudroie et endeuille des familles en l’espace de quelques semaines, la perception du danger est intériorisée et les mesures de prévention sont naturellement assimilées car personnalisables. Le port de masque et l’isolation réduit considérablement mes risques de contamination : je suis maître de mon destin !
A contrario, les conséquences diverses et multiples du réchauffement climatique sont plus difficilement concevables à l’échelle individuelle. Comment se protéger face à l’augmentation du niveau des mers, des vagues de chaleur, des pertes de rendement agricole, des cyclones plus fréquents et intenses, de l’extinction de la biodiversité, etc. ? La réduction de mon empreinte carbone semble être un remède futile et dérisoire, un coup d’épée dans l’eau. Ces aléas climatiques sont d’ailleurs inégalement répartis à la surface du globe fragilisant davantage les populations des pays équatoriaux, pauvres et peu émettrices de GES, et déresponsabilisant celles des pays développés de l’hémisphère Nord pour lesquelles la crise climatique apparaît abstraite et éloignée.
Et si le réchauffement climatique était une affaire d’État
Cette crise sanitaire focalise l’attention sur les États-Nations dont la suprématie se mesure à l’aune du pourcentage de décès de Covid-19 au sein de leur population. En effet, la surmortalité dans un pays est directement imputable aux politiques nationales, responsables entre autres de la gestion du matériel médical (lits de réanimation, tests de dépistage, masques de protection, etc.). Les gouvernements exercent alors, leurs droits régaliens pour contenir la pandémie : fermeture des frontières, instauration du confinement général, réquisitions d’appareils productifs… Ces mesures ont une efficacité immédiate et quantifiable, légitimant ainsi le rôle tutélaire des États dans cette crise.
En revanche, la lutte contre le réchauffement climatique ne peut être que transnationale. Quel intérêt pour un pays de réduire ses émissions alors que son voisin les augmente d’autant ? La capacité de stockage de GES dans l’atmosphère n’est pas protégée par le droit international, c’est un bien rival dont l’exploitation avantage les uns au dépend des autres et entraîne inévitablement son épuisement, logique implacable de la Tragédie des biens communs (G. Hardin, 1968). Ainsi, la compétition économique attise les intérêts nationaux et entrave une mobilisation mondiale solidaire. Paradoxalement, le réchauffement climatique est même perçu pour certains pays comme une aubaine : la fonte des glaces dans l’Arctique ouvre de nouveaux raccourcis maritimes intensément convoités par le Russie, l’Europe du Nord et le Canada (Géopolitique d’une planète déréglée, J-M. Valentin).
Et si le réchauffement climatique était un ennemi étranger
Comme en temps de guerre, l’état stationnaire de notre société est actuellement bouleversé par un perturbateur exogène, un virus hostile et meurtrier. D’ailleurs, le président Macron a filé la métaphore guerrière lors de ses premières allocutions, critiquable à certains égards mais bien convenue pour appeler à la mobilisation générale. L’ennemi commun motive l’union : tous solidaires face au Covid-19 !
Le réchauffement climatique est dû à l’accumulation de GES dans l’atmosphère, ces gaz sont issus à environ 70 % de la combustion des énergies fossiles que l’on pourrait donc sérieusement qualifier « d’ennemis du climat ». Mais contrairement au coronavirus, ces sources d’énergie concentrées et stockables sont intrinsèques à la société moderne (How Dependant is Growth from Primary Energy ? G. Giraud et Z. Kahraman) qui ne peut donc se défaire de ce qui lui est inhérent : sa condition d’existence est aussi sa plus grande menace. La lutte endogène contre le réchauffement climatique est une aporie, le système ne peut spontanément compromettre sa pérennité. Les mesures sanitaires contre la pandémie, aussi radicales soient elles, sont temporaires alors que seule une transformation irréversible peut contrecarrer le réchauffement climatique.
Avec des « si » on mettrait Paris en quarantaine
Les différences entre ces deux crises sont donc psychologiques et politiques. Psychologiques d’abord, car le coronavirus, immédiat, cruel et apparent, est perçu par les populations comme un danger plus grave et inquiétant. Politiques ensuite, parce que le réchauffement climatique appelle à une mobilisation internationale impossible dans un système où le développement économique est tributaire des énergies fossiles. L’arrêt brutal de nos sociétés pour freiner la propagation du coronavirus ne prouve donc en rien que des mesures similaires pourraient être adoptées et tolérées pour atténuer le réchauffement climatique.
Certains écologistes vont jusqu’à affirmer, sans preuve scientifique tangible, que la pandémie Covid-19 serait une conséquence du réchauffement climatique. Certes, l’augmentation de la température et l’érosion de la biodiversité augmentent le risque d’apparition des maladies vectorielles, mais tout autant que l’atrophie des zones tampons naturelles qui n’est pourtant pas d'origine climatique. Il faut combattre la tendance à rassembler pêle-mêle tous les désastres écologiques sous la bannière climatique. La prédation de l’Homme sur son environnement ne date pas de la découverte des énergies fossiles. Ce n’est pas l’effet de serre qui remplit l’océan de plastique et le vide de ses poissons. Ce ne sont pas non plus les émissions de CO2 qui contaminent les sols et exterminent les insectes. A force de confondre les catastrophes on finit par mélanger les causes et desservir les résolutions.
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