Par Arielle Lévy et Cécile-Jeanne Gayrard, co-fondatrices du label Une Autre Mode Est Possible
© UAMEP
Alors que le gouvernement vient de présenter son Projet de Loi de Finances pour 2019, les professionnels de la filière française de la mode et de l’habillement ont sonné l’alerte début octobre au sujet de la disposition prévoyant le versement à l’Etat en 2019 de 7% des ressources du DEFI (Comité Professionnel de Développement de l’Habillement). Si elle était votée, il s’agirait en effet d’un rude coup porté au dynamisme de la création textile française, et en particulier au développement de la jeune création.
Mais ces problématiques de budget et de financement ne représentent que la partie émergée de l’iceberg : la jeune création française est aujourd’hui prise dans des logiques économiques de production et de distribution qui ne correspondent pas à son essence et ne peuvent répondre à ses réels besoins. Il nous paraît ainsi indispensable de régénérer les modèles afin d’enclencher un cercle vertueux dans lequel tous les acteurs seraient gagnants.
Trois phénomènes nous paraissent être à l’origine de la difficulté que connaissent les jeunes créateurs de mode pour se développer de manière pérenne aujourd’hui.
© Aliashade - UAMEP x Le Pigalle
Le premier problème réside dans l’atomisation des différents acteurs de la filière. S’il existe de multiples acteurs engagés dans le soutien à la jeune création, ces acteurs, qui sont autant d’écosystèmes situés à différents niveaux de la chaîne de valeur (acteurs de soutien public, incubateurs, crowdfunders, salons professionnels, concours, nouvelles market places, etc.), ne partagent pas une vision suffisamment transversale et collective. La jeune création se retrouve ainsi aujourd’hui dépendante d’une multitude d’intermédiaires atomisés qui n’interagissent pas les uns avec les autres. Or, de manière générale, on ne peut trouver de solutions durables à un problème qu’en adoptant une approche systémique qui consiste à relier les différentes parties prenantes et à prendre en compte les interactions entre elles.
Le deuxième problème réside dans l’absence de reconnaissance de l’innovation immatérielle portée par la jeune création. Dans le champ du textile et de l’habillement, les jeunes créateurs ne sont pas reconnus comme des start-ups alors qu’ils sont, au-delà de l’acte de création, de véritables défricheurs de nouvelles tendances, et expérimentateurs de nouveaux modèles économiques et sociaux. Comme les jeunes start-ups innovantes, la jeune création ouvre des possibles pour trouver de nouvelles solutions qui ont une réelle utilité pour la société. Mais elle se retrouve prise aujourd’hui dans un schéma traditionnel « production / vente / marge / croissance » qui ne prend pas en compte son rôle d’innovation sociale, environnementale et économique. Le financement et les dispositifs de soutien financier à la jeune création ne sont ainsi envisagés que dans une logique de rentabilité.
Le troisième problème repose sur le préjugé selon lequel « ce qui est petit économiquement n’est pas rentable et reproductible », qui génère ainsi le « culte du champion économique ». De multiples petits acteurs, comme les jeunes créateurs indépendants, sont ainsi délaissés au profit d’un « champion », plus attractif pour les investisseurs, qui va pouvoir être présenté comme l’emblème de la réussite économique à la Française. Ce culte du « big is beautiful » a pour conséquence de brider la confiance de la jeune création, ses ambitions et ses capacités d’innovation.
© Aliashade - UAMEP x Le Pigalle
Ces trois problèmes additionnés créent ainsi un cercle vicieux à l’origine des difficultés que rencontre la jeune création à trouver sa place durablement dans la filière de la mode et de l’habillement, et à vivre et non plus simplement survivre. Comment en sortir ? Il existe des solutions à la fois endogènes et exogènes.
De manière endogène, la jeune création doit se regrouper, mutualiser ses outils, ses pratiques, ses réseaux et ses expertises, afin de pouvoir faire entendre sa voix et de limiter les intermédiaires. Elle doit sortir de la sphère purement textile pour travailler de manière transversale en se connectant aux autres filières, par exemple la filière agricole. Elle doit également partir de l’usage final (un vêtement pour qui, pour quoi ?) pour définir tous les éléments de la chaîne de valeur qui intervient en amont et faire les arbitrages nécessaires. Partir de l’usage permet en effet d’évaluer de manière plus juste de ce qui est essentiel et superflu dans la chaîne de valeur d’un produit textile.
De manière exogène, la jeune création doit retrouver son pouvoir d’inspiration en étant moins cannibalisée par le « culte du champion ». Les acteurs économiques et les investisseurs doivent ainsi prendre en compte son rôle d’innovation et de défrichage. Or l’exploration et l’expérimentation prennent du temps et impactent donc nécessairement la rentabilité immédiate. D’où la nécessité que les dispositifs de soutien ne soient pas uniquement envisagés dans une logique de rentabilité pure mais prennent en compte les dimensions immatérielles du travail de la jeune création.
© Aliashade - UAMEP x Le Pigalle
Un autre point crucial est la nécessité de créer des ponts entre les écosystèmes et les dispositifs de soutien, afin de passer d’une approche atomisée à une approche systémique. Cela peut passer par des rapprochements entre des acteurs, par la création de solutions et de plateformes mutualisées, mais aussi par des outils législatifs qui permettraient d’engager une dynamique réellement collective.
Au-delà de tous ces leviers, nous appelons les acteurs économiques et les investisseurs à faire confiance à la jeune création dans sa capacité d’innovation et de création de valeur ajoutée pour l’économie et la société. Il semble en effet primordial aujourd’hui de lever l’opposition entre « petits » acteurs et « gros » acteurs afin de créer un cercle vertueux où tous les acteurs participeraient ensemble à la régénération des modèles en s’enrichissant mutuellement.
© Photo de couverture : UAMEP - UAMEP x La Recyclerie
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