Tellement écologiste qu’il ne voulait pas couvrir les murs d’affiches pour éviter de gaspiller le papier, René Dumont a beau avoir été le premier d’une longue lignée d’écolos à se lancer dans la course à l’Élysée, son discours demeure étonnamment rafraîchissant. « À quoi ça sert ?, interrogeait, dans un spot de la campagne de 1974 devenu mythique, l’aspirant président alors âgé de 70 ans. Quel argument ça apporte de montrer sa binette sur tous les murs de la ville ? C’est une grossière plaisanterie ! » Son programme ? Limiter les naissances, favoriser les transports en commun, réduire les heures de travail ou encore en finir avec les essais nucléaires.
Son style ? Un ton professoral, une communication décalée, de grosses lunettes rectangulaires et un increvable col roulé rouge qui lui donne des airs de personnage de BD. « Il avait un côté professeur Nimbus », se souvient l’ancien ministre délégué à l’Environnement Brice Lalonde. Le personnage et ses propositions réunissent 1,32 % des votes au premier tour de l’élection présidentielle de 1974, mieux qu’un certain Jean-Marie Le Pen et ses 0,75 %. Une autre époque.
Retrouvez cet article dans notre hors-série « L'Écologie ou la mort », disponible sur notre site.
Le score peu élevé de René Dumont et des siens n’est pas si ridicule pour un pionnier dont la campagne a, de plus, été menée avec peu de moyens. « C’est un résultat qui nous a quand même un peu déçus. Pour nous, ce n’était pas assez. À côté de ça, il faisait salle comble... donc le résultat électoral ne correspondait pas à l’intérêt qu’il avait suscité », analyse a posteriori Brice Lalonde, son directeur de campagne d’alors.
De toute façon, l’ancien tiers-mondiste ne visait pas vraiment une place au chaud à l’Élysée, mais avait davantage espoir de semer des graines : « Pour le moment, nous sommes faibles, avait-il déclaré au Figaro quelques semaines avant le scrutin. Mais notre but le plus certain, c’est de politiser le mouvement écologique contre l’économie capitaliste. C’est en cela que notre action n’est pas une fin, c’est un commencement. »
De moderniste à écologiste
Agronome de formation et globe-trotteur, René Dumont travaille en Indochine, puis dans de nombreux pays africains, et donne également des conférences en Amérique du Nord. Ces expériences agricoles multiples et ces rencontres vont l’amener à observer sur le terrain l’exploitation du tiers-monde par l’Occident, jusqu’au début des années 1970, et métamorphoser ses convictions productivistes en une pensée écologiste. « Il a fait sa mue écolo sur la fin de sa vie, en publiant L’Utopie ou la Mort ! en 1973 », confirme Alexis Vrignon, auteur de La Naissance de l’écologie politique en France et enseignant-chercheur à l’université de Pau.
Le « rapport Meadows » publié par le Club de Rome en 1972, qui annonce un effondrement inévitable des sociétés modernes à moins de renoncer à une croissance sans limite de la production, a précipité sa prise de conscience. « Il a été choqué et s’est alors dit que la seule solution était un système redistributif », abonde Brice Lalonde. Se réclamer de l’écologie ne suffit donc pas à René Dumont.
Trois ans après sa défaite à la présidentielle, il publie Seule une écologie socialiste. Critique envers l’Union soviétique, René Dumont sera nettement plus conciliant avec Mao, ne cachant pas une certaine admiration pour la réforme agraire de la Chine communiste, pourtant à l’origine de plusieurs famines. Brice Lalonde confirme : « C’est vrai, mais il faut se dire que c’était tout une époque. Pour beaucoup, Mao incarnait la vertu et l’austérité, on ne savait pas bien ce qui se passait là-bas. » La Chine met en place dès les années 1970 une politique de contrôle de natalité, qui débouche en 1979 sur la politique de l’enfant unique. Tiers-mondiste et malthusien convaincu – comme beaucoup d’écologistes de l’époque –, René Dumont y voit un modèle à suivre en matière de gestion de la population.
Dans 20 ou 30 ans, y en aura plus
Des éoliennes, des vélos, de l’agriculture urbaine, des immeubles et un Panthéon végétalisés… L’affiche de campagne de la législative partielle du Ve arrondissement de Paris, en 1976, donne un aperçu de la société idéale selon René Dumont et Brice Lalonde. « Ce qui est frappant, c’est que les problématiques soulevées par René Dumont sont encore celles des écologistes d’aujourd’hui », s’étonne Alexis Vrignon. Différence notable avec nos Verts actuels : le profil de l’ancien candidat, agronome de formation.
Qu’il s’agisse de Yannick Jadot, d’Eva Joly ou encore de Dominique Voynet, les candidats écolos de ces dernières années sont désormais peu issus du monde agricole. « Quelque part, c’était un peu le reflet d’une population française qui comptait davantage d’agriculteurs qu’aujourd’hui, remarque le chercheur. Cette origine fait que, même pendant sa campagne, et à contre-courant d’une partie des écologistes, il ne voulait pas condamner tous les engrais et pesticides. Il a cru au progrès scientifique tout au long de sa vie. »
Autre différence non négligeable avec le personnel des Verts aujourd’hui : son désintéressement. « Il n’avait jamais songé à la présidentielle. Les écolos de l’époque sont allés le chercher, note Alexis Vrignon. Il était un porte-étendard, il a pris un mouvement en route. » Ce qui n’a pas empêché René Dumont de jouer avec brio des codes de la communication politique, comme lorsqu’il annonce dans sa célèbre vidéo de campagne que l’eau va être une denrée rare d’ici la fin du XXe siècle.
Théâtral, il se jette alors sur un verre rempli du précieux breuvage et le boit avec allégresse. À d’autres occasions, il annonce que le pétrole viendra à manquer d’ici 30 à 60 ans, prévoit l’effondrement de certains pays du fait de la croissance démographique, ou entrevoit que le réchauffement climatique sera la plus grande menace que nous ayons bientôt à affronter. Des prédictions parfois démenties, parfois exagérées. Mais René Dumont aura eu le mérite, il y a un demi-siècle déjà, de se faire lanceur d’alerte pour les générations à venir et alors même que la société d’abondance matérielle semblait inébranlable.
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