Vous l’avez peut-être déjà vu, ce petit sticker blanc scotché à la paroi d’un abris-bus vide ou bien placardé sur la surface vierge d’un panneau d’affichage. Deux lignes, une courte phrase : « Cette publicité a été retirée sur demande citoyenne. » À l’origine de ce méfait, une campagne d’action collective antipub nommée Respiro.
Pour en retrouver l’origine, il faut remonter au 25 mars 2022, journée nationale contre la publicité. Le mouvement Extinction Rebellion (XR) annonce alors le lancement de l’initiative, à laquelle se joindront plus tard d’autres organisations, telles que Résistance à l’agression publicitaire (RAP) ou encore le collectif Plein la vue. Le principe est simple, et pourtant original : sur le site internet de l’action, des citoyens lambdas votent pour demander le retrait des publicités commerciales présentes dans leur commune ; en retour, les organisateurs s’engagent à tout mettre en œuvre pour accéder à leur demande. Signe de leur passage, un message :
Leurs motivations ne diffèrent pas des autres collectifs anti-pub. Omniprésente dans les villes, la publicité se décline sous des formes de plus en plus agressives : panneaux lumineux, affiches défilantes, écrans numériques, etc. Ses opposants dénoncent les conséquences sociales et environnementales d’une activité fortement consommatrice en ressources et énergies, venant nourrir le consumérisme. « La publicité a le pouvoir de façonner les normes sociales en créant, normalisant puis incitant à renouveler rapidement des besoins polluants », avertit le Giec lui-même dans le dernier volet de son rapport publié en avril 2022, évoquant pour la première fois la possibilité de réguler cette activité. Parmi les arguments avancés, le groupement explique que 40 à 70% de la réduction des émissions d’ici à 2050 pourrait être atteinte grâce à l’atténuation de la demande.
Sensibilisation et mobilisation
Forcément, l’initiative Respiro semble bien minime et isolée face à l’ampleur de la tâche. Pour ses militants, la finalité n’est pas tellement de retirer les publicités. « Elles sont très rapidement remplacées, alors oui c’est satisfaisant sur le moment mais ça ne suffit pas, explique Gesler*, membre de XR. Ce qui est important, c’est de sensibiliser les gens, d’amener une réflexion sur le sujet. Voir des encarts publicitaires vides et un sticker, ça peut être un déclencheur chez certaines personnes. »
Panneau publicitaire vide après une action RESPIRO à Lyon (crédits : XR/ @engrainage.media)
Car le mouvement souhaite dépasser le microcosme militant et écologiste. « La lutte contre la publicité englobe de très nombreuses thématiques, pas seulement environnementales. Si l’on veut rallier le plus de monde possible à cette cause, il faut arriver avec une étiquette plus inclusive et légitime », analyse R4cmy*. D’autant que leur combat pourrait aisément trouver une oreille favorable dans la population. En 2019, près de 9 membres de la Convention citoyenne pour le climat sur 10 s’étaient prononcés pour l’interdiction des panneaux publicitaires dans les espaces publics extérieurs.
Mais pour toucher un public plus large, encore faut-il grossir les troupes. Le terrain peut faire peur. Après tout, retirer les publicités reste illégal. Pas de quoi refroidir les militants selon lesquels le risque d’être sanctionné reste faible. « L’infraction est tellement mineure que même quand il y a intervention policière, 99% du temps il ne se passe rien », constate R4cmy. Si la perspective d’un procès semble plus lointaine encore, la légitimité conférée par les votes des citoyens reste une garantie de taille pour le mouvement. « On a beaucoup d’arguments pour justifier notre action. Le moindre bruit judiciaire irait en notre faveur, ce qui n’est pas dans l’intérêt des annonceurs ni des pouvoirs publics. »
Pour les citoyens moins téméraires, signaler les publicités et voter peut être un moyen plus rassurant de contribuer à la lutte. « Ces modes d’action ne parlent pas forcément aux mêmes types de personnes, juge R4cmy. Les gens redécouvrent qu’ils ont un pouvoir politique en tant qu’individus. Leur vote a un effet concret et directement visible. »
Si les retours sont souvent positifs et les discussions avec les passants fertiles, « il peut y avoir des réactions négatives, explique Francesco*. Certains pensent que l’on fait du vandalisme, jusqu’à ce qu’ils constatent qu’on ne dégrade rien. Alors ils scannent le QR code. » Les militants bénéficient du soutien de la plupart des commerçants. « La majorité d’entre eux sont contre ces publicités. Elles ne mettent pas en avant leurs produits mais ceux des grandes surfaces ou des marques de luxe. » Selon les estimations du collectif lyonnais Plein la vue, 0,0002 % des entreprises françaises monopolisent 80 % des publicités.
Deux axes
« L’idée est de multiplier les petites victoires », argumente Gesler. Le mécanisme du vote a l’avantage de faire monter un sujet, de trouver une légitimé afin d’engager plus facilement des discussions avec les élus et produire in fine des changements législatifs à l’échelle locale. Car les édiles locaux ne sont pas dépourvus de moyens d’action : dans les villes, les campagnes d’affichage publiques sont régulées par ce que l’on nomme le règlement local de la publicité (RLP). Récemment, Lyon et Grenoble, deux métropoles françaises présidées par des membres du parti écologiste, ont ainsi fait le choix de restreindre drastiquement cette réglementation en mettant fin aux affiches publicitaires sur panneaux dans l’espace public.
« En parallèle à cela, on a un objectif plus national : lancer une pétition sur le site de l’Assemblée nationale afin d’organiser un débat sur le sujet et d’essayer de changer la législation », annonce R4cmy. Problème : l’organisation de cette pétition nécessite l’obtention de 500 000 signatures avant la fin de la législature. « On attend que ça prenne de l’ampleur au niveau local pour ensuite s’attaquer au niveau national. »
Opération RESPIRO menée à Lyon (crédits : XR/@engrainage.media)
Début juillet, les militants parisiens ont organisé une action de taille à l’occasion du lancement de la campagne Respiro dans la capitale. Cinq quartiers ont été touchés et plus de 250 publicités retirées. « Ça été ultra efficace. En deux jours, le compteur de votes pour la ville de Paris a doublé », se félicite Gesler. Pas encore de quoi crier victoire : on parle ici de seulement 586 votes. Un début.
En pleine période estivale, la campagne peine à engranger des votes et aspire à un souffle nouveau. Les actions se poursuivent en vue d’une possible mobilisation de taille à la rentrée. En attendant, R4cmy s’autorise à rêver. « Chaque publicité retirée donne l’aperçu d’un monde que l’on aimerait tous construire. »
*Les prénoms ont été changés / pseudonymes
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