Entre deux louanges à Gérard Depardieu, Emmanuel Macron se gargarisait fin décembre d’être « inattaquable » en matière de lutte contre les violences faites aux femmes et de progression de leurs droits.
Quelques mois plus tard, à l’occasion du 8 mars, seul jour de l’année où les droits des femmes semblent être un objet politique réellement digne d’attention dans ce pays, il entérinait fièrement l’inscription de l’avortement dans la constitution, en déclarant : « Nous ne trouverons le repos que lorsque cette promesse sera tenue partout dans le monde. » Rien que ça. S’il pouvait commencer par rendre ce droit réellement effectif dans le pays qu’il dirige, ce serait déjà une avancée formidable.
Chronique issue de notre numéro 63 « +4°, ça va chauffer ! », disponible en kiosque, librairie et sur notre boutique.
Car en France, l’accès à l’IVG n’échappe pas à la crise plus globale du système de santé publique, et le président ne peut ignorer les fortes disparités territoriales en matière d’accès à ce droit fondamental. Un rapport parlementaire de 2020 sur la question souligne que les « infrastructures ne sont pas à la hauteur des besoins dans certains départements, ce qui engendre des inégalités territoriales qui sont difficilement acceptables ». Résultat, les femmes consultent de plus en plus tard et de plus en plus loin, sans pouvoir nécessairement choisir la manière d’avorter. La politique d’Emmanuel Macron en la matière ne parvient pas (ou ne cherche pas) à corriger ce problème, puisqu’aux hôpitaux surchargés viennent s’ajouter les fermetures successives de centres d’IVG : le Planning familial estime qu’en quinze ans, 130 centres ont dû fermer leurs portes, faute de « rentabilité ».
Mais à la tête de l’État, pas question de souligner les reculs, quand on peut se concentrer sur les avancées. Chaque 8 mars, c’est le même cirque politique, à coups de déclarations grandiloquentes, alors que la réalité est bien éloignée de ces discours ampoulés d’autosatisfaction.
Un bilan en dents de scie
La question de l’avortement est à l’image du reste de son œuvre : des promesses qui ne se concrétisent pas. Sept ans après son arrivée au pouvoir, le bilan d’Emmanuel Macron en ce qui concerne les droits des femmes est contrasté. Si l’on peut se réjouir, entre autres, de la constitutionnalisation de l’IVG, du rallongement de son délai légal de 12 à 14 semaines, de la loi permettant de considérer l’endométriose comme une ALD (affection longue durée), de l’élargissement de la PMA, ou encore de la verbalisation du harcèlement de rue, on est encore bien loin du compte. Il convient de préciser que l’ensemble de ces lois ne prennent pas en compte les droits et besoins des personnes trans.
Depuis quelques années, les budgets alloués à l’égalité femmes-hommes sont en hausse, mais le budget moyen par femme victime de violences a baissé de 26 %, à cause de l’augmentation rapide du nombre de plaintes, permise en partie par le mouvement #MeToo. Plus de plaintes, mais une prise en charge qui s’améliore peu. Dans un rapport publié fin 2023, la Fondation des Femmes estime à 2,6 milliards d’euros par an le budget minimum que l’État devrait consacrer à la protection des victimes de violences conjugales, sexistes et sexuelles en France (pour permettre par exemple l’accueil et l’orientation des victimes). Aujourd’hui, il en dépense 184,4 millions par an.
Si on élargit la focale, on constate que les femmes sont aussi les victimes collatérales des lois libérales des dernières années qui ont appauvri les plus modestes.
Résultat de ce sous-investissement dénoncé par la totalité des associations : 321 000 femmes sont toujours victimes de violences conjugales chaque année, le nombre de femmes qui, au cours d’une année, sont victimes de viols, tentatives de viol ou agressions sexuelles est estimé à 217 000. Enfin, 4 femmes victimes de violences sur 10 ayant fait une demande d’hébergement d’urgence ne peuvent pas y accéder, et, tous les trois jours, une femme est tuée par son conjoint ou ex-conjoint – un chiffre qui reste désespérément stable d’année en année. Si là encore, des efforts ont été réalisés (déploiement de « téléphones grave danger », renforcement du recours aux bracelets anti-rapprochement, etc.), ils ne sont pas assez importants pour observer des résultats d’ampleur. Les dispositifs de protection ne concernent que 2 % des cas de violences conjugales en France et l’accueil des femmes est toujours très problématique, 66 % des femmes victimes de violences décrivaient une mauvaise prise en charge selon une étude #NousToutes publiée en 2022.
Inégalités économiques
Sur le plan des inégalités économiques, le travail est loin d’être terminé aussi. Comme le pointait un rapport publié par Oxfam en 2022, il manque toujours 230 000 places de crèches en France (forçant certaines femmes à rester au foyer), les femmes sont deux fois plus touchées que les hommes par le sous-emploi, et elles gagnent toujours près de 15 % de moins que les hommes à temps de travail égal.
Si on élargit la focale, on constate que les femmes sont aussi les victimes collatérales des lois libérales des dernières années qui ont appauvri les plus modestes, et donc les femmes, plus exposées que le reste de la population à la précarité. La dernière réforme des retraites en est l’illustration parfaite : en raison du report de l’âge légal, les femmes qui ont souvent des carrières hachées à cause des grossesses doivent travailler sept mois de plus en moyenne, contre cinq pour les hommes. Les associations féministes et les économistes ont eu beau pointer du doigt cette injustice avant le vote de la loi, rien n’y a fait.
Tout ça nous ferait presque oublier l’obsession des derniers ministres de l’Éducation autour du style vestimentaire des écolières : l’une des priorités de Jean-Michel Blanquer a été de combattre le « crop top » pour une tenue plus « républicaine » et celle de Gabriel Attal d’interdire le port de l’abaya à l’école (tout ça pour aboutir à… 67 signalements d’adolescentes n’ayant pas respecté les règles). Des initiatives qui ont fait émerger de joyeux débats à la télévision autour du nombre de centimètres de peau des écolières devant être recouverts par du tissu. Et bonne année 1870.
Lutter contre la parole des femmes
Cerise sur le gâteau, Emmanuel Macron s’est adonné à des épisodes médiatiques d’un sexisme confondant, ne laissant aucun doute sur la considération donnée aux femmes au plus haut sommet de l’État. C’est ainsi qu’il a assuré en 2023 qu’un agresseur sexuel présumé faisait la « fierté de la France », ou encore qu’il a nommé lors de son premier mandat un ministre de la Justice hostile au mouvement #MeToo en la personne d’Éric Dupond-Moretti, et permis à un homme alors mis en cause dans une enquête pour viol de devenir ministre de l’Intérieur. Interrogé sur la nomination de Gérald Darmanin, le président aura l’audace d’affirmer lui accorder sa confiance suite à une « discussion d’homme à homme ». Ceci explique cela. Ce n’est pas avec un boy’s club au pouvoir qu’une politique « inattaquable » en matière de droits des femmes devrait voir le jour.
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