Servir les riches : maîtres et serviteuses

Une bonne thèse est d’abord un bon sujet. Celui d’Alizée Delpierre est aussi original que signifiant : une enquête auprès des domestiques qui servent des grandes fortunes. La sociologue en tire cet excellent ouvrage qui décortique avec exhaustivité et finesse ce qui se passe derrière les portes dorées des hôtels particuliers. Fruit de plusieurs années d’immersion, Servir les riches explore un monde hors normes à tout point de vue : par l’argent qui y achète jusqu’à la sympathie, le rapport de domination extrême qui s’y noue et le mélange inextricable d’adhésion et de contrainte qui se joue. Car ces domestiques admettent être corvéables à merci contre des avantages non négligeables : des rétributions élevées, une vie dans le luxe et, quelquefois, une relation d’affection avec les patrons.

Mais Alizée Delpierre montre le prix exorbitant de cette servitude. Il y a le mépris, les agressions et surtout l’épuisement d’un travail sans fin, parfois au service des délires les plus régressifs – un passage sidérant est consacré à ces demandes folles, comme des patrons voulant se faire essuyer mains et bouche après chaque plat par une serviette impeccablement blanche et sentant la lessive pour bébé. Autant d’anecdotes dont l’excès exprime une loi d’airain, qui n’est autre que la « violence d’un ordre social que les grandes fortunes s’évertuent quotidiennement à préserver ». La subir est une « condition, implicite ou explicite, des avantages qu’offre la domesticité ». 

Servir les riches. Les domestiques chez les grandes fortunes, Alizée Delpierre, La Découverte,  22 septembre 2022, 220 pages, 20 €.

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À propos de l'auteur

Youness Bousenna
Journaliste. Son travail apparait notamment dans Telerama, Socialter, Le Monde, Limite. Il est également l'auteur de Albert Camus, l'éternité est ici (Première partie, 2019).

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