L’année 2021 nous laisse un goût de cendres dans la bouche. Celles, entre autres, de la forêt qui bordait Lytton, partie en fumée en quelques heures juste avant que les flammes n’emportent ce charmant village canadien, prisonnier d’un « dôme de chaleur », tabassé par la température inhumaine de 49,6°C. Ne nous privons pas de l’allégorie : nous vivons désormais tous sous le dôme d’un capitalisme mondialisé qui atteint progressivement son point d’incandescence. La destruction de Lytton, comme tant d’autres événements ces dernières années, nous indique que nous arrivons au terme du monde connu : nous atteignons les points de bascule. En sociologie, cette expression désigne le moment dramatique où un phénomène singulier devient commun. Ici, lorsque nous chuterons dans un autre état global, lorsque la catastrophe sera dépouillée de son exceptionnalité pour devenir notre normalité. Les sciences du climat ont un synonyme plus parlant : point de non-retour.
Puisque l’aller-retour n’est pas une option, il faut faire dérailler le train et emprunter d’autres chemins. À cet effet, « bascule » a une autre signification : une pièce de bois ou de métal mise en équilibre sur un pivot ou autour d'un axe de telle sorte qu'une de ses extrémités soit élevée quand l'extrémité opposée s'abaisse. Qu’il s’agisse de renverser la situation ou de faire contre-poids pour empêcher notre monde de glisser dans l’abîme, nous avons besoin de bascules. Nous avons besoin d’idées d’avant-garde, de réflexions stratégiques et de prises de position fortes pour sortir de l’impasse où nous sommes, comme autant de leviers intellectuels, conceptuels, affectifs. Avec cette première édition de Bascules, le magazine indépendant Socialter entend se faire le porte-voix de penseurs et d’activistes dont l’originalité et le tranchant détonnent dans le paysage intellectuel et médiatique. Au fil de huit textes inédits, Bascules entend stimuler les réflexions politiques et nourrir les luttes, combats et alternatives à venir.
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Les huits textes de cette première édition
Annie Le Brun (avec Juri Armanda), Au-delà du vide
Aussi riche qu’inclassable, l’œuvre d’Annie Le Brun n’en garde pas moins une unité profonde : celle de la révolte. Une révolte poétique, (cette Rennaise, née en 1942, participa dans les années 1960 au groupe surréaliste emmené par André Breton), et contre son époque, notamment avec Du trop de réalité (Stock, 2000), critique radicale d’une société où le consumérisme détruit l’utopie. Cette spécialiste de Sade a plus particulièrement ciblé l’irruption du capitalisme dans l’art et dans l’image, notamment avec son dernier essai Ceci tuera cela (Stock, 2021), et ce texte pour Bascules, tous deux co-écrits avec Juri Armanda, qui travaille dans les domaines des arts visuels, du design et de l’architecture à Vienne.
Bruno Latour, La lutte des classes sera géosociale
Référence de l’écologie politique, cet agrégé de philosophie né en 1947 a posé les bases d’une sociologie des sciences et des techniques, avant de développer une anthropologie critique de la modernité, exposée dans Nous n’avons jamais été modernes (La Découverte, 2011). Il y évoque un « grand partage » opéré par notre civilisation entre nature et culture. Sa pensée écologique devient incontournable à partir des années 2010, avec ses œuvres Face à Gaïa (La Découverte, 2015) et Où atterrir ? (La Découverte, 2017).
Jocelyne Porcher, Réincarner nos relations aux animaux de la ferme
Jocelyne Porcher, née en 1956, quitte Paris à 25 ans pour s’installer à la campagne. Devenue éleveuse, elle reprend des études et découvre l’industrie porcine. Le rejet de l’ingénierie appliquée aux animaux la conduit à s’orienter vers la recherche. Rejetant l’exploitation industrielle comme le véganisme, elle défend un retour à l’élevage paysan, notamment à travers ses ouvrages Éleveurs et animaux, réinventer le lien (PUF, 2002), Vivre avec les animaux (La Découverte, 2011), et Cause animale, cause du capital (Le Bord de l’eau, 2019).
Anselm Jappe, Après le béton
Anselm Jappe, né à Bonn en 1962, compte parmi les penseurs critiques importants de notre époque. Issu du courant allemand de la critique de la valeur, auquel il a participé comme membre du groupe Krisis, Anselm Jappe a approfondi cette approche anticapitaliste fondée sur une lecture actualisée de Karl Marx avec Les Aventures de la marchandise. Pour une nouvelle critique de la valeur (La Découverte, 2003) et La Société autophage. Capitalisme, démesure et autodestruction ((La Découverte, 2017). Également spécialiste de Guy Debord, sur qui il a publié un ouvrage référence, son dernier livre Béton. Arme de construction massive du capitalisme (L’échappée, 2020) a porté sur ce matériau révélateur de la logique destructrice du capitalisme.
Verónica Gago, Le féminisme, une force contre le néo-libéralisme
Intellectuelle et activiste, l’Argentine Verónica Gago, née en 1976, s’impose actuellement comme une figure du féminisme latino-américain. Sa pensée articule une critique radicale du néolibéralisme tout en esquissant les voies d’une résistance par un féminisme populaire. Puisant dans la tradition révolutionnaire, de Karl Marx à Rosa Luxemburg, elle s’appuie sur son propre engagement pour repenser l’arme de la grève en vue d’une internationale féministe réellement émancipatrice. Son ouvrage La Puissance féministe ou le Désir de tout changer (Divergences, 2021), s’affirme comme une analyse critique en même temps qu’un manifeste.
Lamya Essemlali, Lettre à une jeune militante sur la nécessité de l’action directe
Déjà impliquée dans la défense des animaux et l’écologie, l’engagement de Lamya Essemlali a pris un tournant décisif avec la rencontre de Paul Watson, le légendaire fondateur de Sea Shepherd. Alors diplômée d’un master en sciences de l’environnement, l’activiste née en 1979 à Gennevilliers décide de s’engager pour l’ONG, se retrouvant dans son approche biocentrée et sa stratégie d’action directe. Lamya Essemlali, qui a signé deux livres (Paul Watson. Entretien avec un pirate (2012, Glénat) et Paul Watson. Sea Shepherd, le combat d’une vie (2017, Glénat), est également vice-présidente du parti fondé par le journaliste Aymeric Caron, Révolution écologique pour le vivant (REV).
Pierre Crétois, Pour une copossession du monde
Maître de conférences en philosophie, Pierre Crétois aborde la théorie de la propriété sous un angle philosophique. Entre 2007 et 2012, il travaille sur une thèse portant sur l’émergence de la notion contemporaine de propriété à la fin du xviiie siècle, dont il tire son premier ouvrage, Le Renversement de l'individualisme possessif. De Hobbes à l'État social (Classiques Garnier, 2015). Dans La Part commune. Critique de la propriété privée (Amsterdam, 2020), il démontre les impasses de notre approche libérale de la propriété, tout en développant une proposition alternative autour de la notion de « copossession ».
Closing Worlds Initiative, Concevoir les politiques de l'anthropocène
Inspiré par les travaux de Tony Fry et Bruno Latour, l’initiative « Closing Worlds » travaille à l’application du concept de « redirection écologique », qui réfléchit aux moyens d’hériter de nos modes de production et de les réorienter face à notre situation critique. Ce travail s’est concrétisé par une enquête sur les « patrons effondrés », auscultant les troubles de dirigeants économiques face au changement climatique, ainsi que sur les stratégies des entreprises et institutions publiques face à ces bouleversements. Lancé en 2017, « Closing Worlds Initiative » a été fondé par Alexandre Monnin et Diego Landivar, tous deux chercheurs au sein d’Origens Media Lab, basé à Clermont-Ferrand. Avec Emmanuel Bonnet, ils ont coécrit l’ouvrage Héritage et Fermeture. Une écologie du démantèlement (Divergences, 2021) dans lequel ils présentent leur démarche, réfléchissant au démantèlement des infrastructures et des technologies du capitalisme dont nous héritons et dépendons, mais dont l’empreinte écologique est insoutenable.
Un format original
Quoi de mieux pour incarner “Bascules” qu’un format atypique et hybride. L’objet que vous tiendrez entre les mains est un ovni : de la hauteur d’une revue, avec une maquette pop et aérée, de la largeur et l’épaisseur d’un livre, avec 8 textes engagés à parcourir en 1 colonne.
L’artiste, Ben O'Neil
Le tout illustré avec talent par un seul et même artiste (Ben O’Neil).
Ben O'Neil est un illustrateur, designer et scénariste vivant à Toronto. Après avoir étudié la peinture abstraite, il se spécialise dans l'illustration comique et compte parmi ses influences Matt Groening, Ralph Bakshi ou encore Greg Capullo. Il travaille notamment pour les publications indépendantes Sweet Jesus, Jacobin ou encore Exclaim! Magazine.
Son premier roman graphique Apologetica a été publié aux éditions Popnoir en 2019, et nominé pour le Prix Expozine 2020 et le Doug Wright Award for Emerging Talent.
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