Tactique n°1 racheter des terres
Mais où donc se vendent les terres agricoles ? Visiblement ni sur Le Bon Coin, ni forcément dans les Safer (lire notre article p. 43). Plutôt dans des coins de champs, en famille à la table de la salle à manger ou au bar du village… Cette réalité peu lisible des transferts de terres rend très complexe l’installation des jeunes (et moins jeunes) non issus du milieu agricole, et encore davantage si leur projet ne rentre pas, ce qui est de plus en plus fréquent, dans un schéma « conventionnel ». Face à l’opacité de ce système et à la transmission affinitaire des terres, qui vont très souvent à l’agrandissement des voisins, de nombreuses initiatives visent depuis les années 1970 à racheter des terres agricoles afin de créer des « sociétés de portage foncier », dont le but est d’acheter des terres et de les soustraire au marché. Le collectif acheteur peut alors mettre à disposition des terres agricoles à des paysan·nes par le biais de « baux ruraux » qui permettent de sécuriser sur le long terme les fermiers, en tant que locataires, dans leur accès à la terre.
Les années 1980 voient ainsi la création de sociétés civiles immobilières (SCI) et de groupements fonciers agricoles (GFA) pour racheter collectivement des terres, comme ce fut par exemple le cas autour du camp militaire du Larzac. Une dynamique encore vivante : Terre de liens Bretagne a, depuis sa création en 2006, déjà accompagné une cinquantaine de structures foncières de ce type. On peut également évoquer le GFA de Mâlain (Bourgogne), qui acquiert collectivement de la terre pour installer de nouveaux paysans. Dans les années 1990, la société Terres communes porte les fermes du Suc (Ardèche), du Maquis (Minervois) et de Cravirola (Roya). L’association Terre de liens (lire notre article) va étendre ce système par la création d’une société de portage foncier à l’échelle nationale en 2007 : la foncière Terre de liens. Ce type de foncière va aussi être décliné à des échelles locales, dans le Pays basque (Lurzaindia), en Pays de la Loire (Passeurs de terres), à Albi (Terres citoyennes albigeoises), etc. Enfin, depuis quelques années, des collectifs se réapproprient de manière subversive l’outil du « fonds de dotation », dans le but de créer des foncières solidaires comme Antidote (lire notre article), La terre en commun, etc.
Pour acheter ces terres, ces organisations collectives vont mobiliser deux ressources financières : l’épargne solidaire, c’est-à-dire l’achat de parts sociales ou d’actions sans rémunération du capital, avec souvent la possibilité de défiscaliser l’investi-s-sement et de récupérer son argent si besoin. Elle permet de lever de grosses sommes d’argent et d’investir assez rapidement (20 millions d’euros par la foncière Terre de liens en 2021). La deuxième ressource financière possible est le don oule legs,quipermet la pérennité des apports, mais dans ce cas l’argent est levé moins vite et avec des montants plus faibles.
Néanmoins, il faut savoir regarder la réalité en face : en vingt ans d’existence, Terre de liens a racheté autant de fermes qu’il en disparaît en trois semaines en France (environ 300). Pourquoi persévérer alors ? C’est que l’enjeu du rachat de terres ne se réduit pas à la surface récupérée. Il s’agit de montrer que les freins à l’accès à la terre peuvent être levés et susciter un nouvel imaginaire collectif et écologique localement. De plus, une ferme particulièrement motrice sur un territoire en termes de pratiques paysannes et de tactiques foncières peut favoriser des installations nouvelles et faire exemple. La coopé-rative de Belêtre, située en Indre-et-Loire, fait ainsi du portage foncier avec l’aide de Terre de liens afin de mettre des terres en réserve pour de futurs candidats à l’installation.
Pour que cela fonctionne, plusieurs éléments sont nécessaires : un accès aux notifications de la Safer (être informé que des terres se vendent et de leur prix, ce qui est possible si l’on connaît un responsable d’un syndicat agricole qui y siège, comme la Confédération paysanne), une bonne connaissance des agriculteur·rices alentour pour mener des négociations à l’amiable dans certaines situations, des candidat·es à l’installation disponibles (car les délais pour se positionner sont souvent très courts) et, enfin, une capacité à mobiliser de l’argent pour acheter des terres rapidement. L’implantation dans le territoire est donc primordiale. Avoir l’assise d’une exploitation agricole permet de regrouper les informations et de jouer sur la facilité de s’agrandir pour mieux redistribuer les terres. C’est ainsi que l’association Paysans de nature a réussi dans le Marais breton à passer de 150 hectares repris en 2008 à 1 500 hectares aujourd’hui, mis à disposition de son réseau de paysans naturalistes, que ce soit par l’acquisition collective ou la négociation de baux (lire notre reportage).
Entre structures nationales et foncières localisées, jusqu’aux fermes qui font elles-mêmes de la « veille foncière » autour de chez elles, chaque échelle d’action participe à lever les obstacles rencontrés aux autres niveaux. Le rachat de terre comme tactique exige de la persévérance, de l’accumulation d’expériences, et la capacité de les transmettre et de les métaboliser dans chaque territoire différemment.
Tactique n°2 reprendre la terre par l’usage
On ne peut pas s’en tenir à des stratégies de rachat. Notamment parce qu’aujourd’hui en France la majorité (un peu moins des deux tiers) des terres agricoles sont en location, c’est-à-dire en fermage. Elles ne sont donc pas à vendre, mais se transmettent lorsqu’un agriculteur part en retraite ou arrête son activité. La question devient alors : comment se positionner pour avoir l’accès à l’usage de ces terres ? Tout au long du XXe siècle, les organisations paysannes se sont battues pour que le statut de la location agricole confère une sécurité dans l’accès à la terre. Cela a été quasiment acquis en 1946 avec le statut du fermage, qui fixe les modalités de la location des terres : des loyers bas et encadrés ; une durée minimale de neuf ans et la reconduction tacite du bail ; l’impossibilité pour le propriétaire de rompre le bail sauf pour une reprise et une exploitation agricole personnelle pour au moins neuf ans. Cette réglementation a été complétée, à partir des années 1960, par de nombreuses lois régulant l’accès à la terre agricole en France. Avec notamment la mise en place des Safer, dotées d’un droit de préemption si les terres se vendent trop cher ou bien à quelqu’un qui en possède déjà assez, et l’instauration d’une « autorisation d’exploiter », autorisation administrative pour pouvoir louer les terres, nécessaire en plus de l’accord du propriétaire.
Mais ces régulations ont été en même temps mises en œuvre dans le but d’achever la modernisation agricole. Elles sont encore aujourd’hui contrôlées par des textes et institutions « cogérés » par l’État et une élite agricole acquise depuis plus de soixante-dix ans au développement d’une agriculture industrielle et libérale. Elles restent néanmoins un lieu de bataille pour que l’accès aux terres ne soit pas régi par les seuls impératifs du marché. L’exemple de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes est éclairant : au moment de l’abandon du projet d’aéroport, et sous la menace de l’expulsion, une partie de celles et ceux qui avaient défendu ces terres pendant des années ont déposé des projets d’installation afin de décrocher des baux précaires (désormais pérennisés) et de pouvoir continuer légalement à cultiver ces terres ou y faire pâturer leurs troupeaux. Après avoir passé des années à squatter ces terres, à organiser des campagnes comme « sème ta ZAD » pour y mener des cultures, ils et elles ont su trouver dans le fonctionnement du droit rural, en l’occurrence l’autorisation d’exploiter, ce qui pouvait leur permettre de pérenniser leur bataille.
« Il s’agit de montrer que les freins à l’accès à la terre peuvent être levés et susciter un nouvel imaginaire collectif et écologique localement. »
Lorsque des terres en location se libèrent et vont être transmises, deux problèmes se posent. Comme pour des rachats, le premier est de trouver des candidat·es prêt·es à s’y installer. Le second est de parvenir à ce que l’usage des terres leur revienne effectivement. C’est en comité départemental d’orientation agricole (CDOA) que se décident les autorisations d’exploiter. Plus précisément, le comité donne un avis et le préfet tranche. Y siègent notamment des représentants des syndicats agricoles élus aux chambres d’agriculture : la FNSEA (syndicat majoritaire), la Coordination rurale et la Confédération paysanne. C’est donc en étant syndiqué·es à la Confédération paysanne que certain·nes de nos allié·es bataillent pour qu’un maximum de terres soient orientées vers des projets paysans.
Dans le cas où personne n’est encore prêt à s’installer, mais que des terres sont disponibles, il est possible de défendre le gel des terres, c’est-à-dire l’entretien temporaire des terres en attendant qu’elles trouvent repreneur. La société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) Nord Nantes loue ainsi des terres en vue d’installations futures qui reprendront alors la location. La commune d’Alloue en Charente a monté en ce sens la SCIC Terres en chemin qui loue les prairies des agriculteurs partis à la retraite et s’en occupe, en attendant qu’un jeune vienne s’y installer. Les enfants d’agriculteurs reprenant de moins en moins les fermes de leurs parents, ce sont des personnes « non issues du milieu agricole » qui sont les plus à même de s’installer.
Mais elles rencontrent des difficultés à accéder au foncier et aux informations concernant les opportunités d’activité sur le territoire. Elles n’héritent pas des savoirs et savoir-faire de leurs parents, et les structures officielles (chambres d’agriculture) ne répondent que trop rarement à leurs besoins. La SCIC travaille donc avec l’asso-ciation agricole Champs de partage, qui préconise l’installation progressive. Mettre en place des accompagnements spécifiques et des espaces test, pour que des canditat·es à l’installation puissent s’essayer à cette activité, fait partie des solutions pour sécuriser les créations d’activités agricoles et espérer éviter le recours à l’agrandissement.
Afin d’encourager l’installation et de répondre aux attentes de porteurs de projets très variés, il apparaît enfin essentiel de valoriser et de visibiliser la diversité des dispositifs de formation et d’accompagnement existants – Addear, Civam, réseau des Crefad, etc. – dans le but de développer des voies complémentaires au parcours à l’installation conventionnelle, et pour proposer des réponses adaptées aux territoires locaux et aux nouveaux besoins des porteurs de projets en agroécologie paysanne. Seule la complémentarité des réseaux multiacteurs et locaux permettra de relever le défi du renouvellement des générations : ils englobent à la fois des organisations paysannes, des structures d’enseignement et de recherche, des collectivités territoriales, mais aussi des agriculteurs-praticiens, avec des compétences en termes d’accueil et d’accompagnement des organisations associatives, coopératives et paysannes (pôle InPact).
Tactique n°3 le droit et la loi comme terrain de lutte
Faire appliquer la loi nécessite parfois une lutte âpre, surtout quand le droit offre des leviers d’action et possède une dimension émancipatrice. Les luttes qui s’organisent contre des projets destructeurs de terres ont toujours ou presque une stratégie juridique qui vient appuyer la bataille de terrain : il s’agit d’aller chercher les illégalités présentes dans les arrêtés permettant le démarrage des travaux (espèces protégées, code de l’environnement ou code rural). L’association France nature environnement s’est révélée une bonne alliée pour monter une défense juridique solide face à des projets qui détruisent des terres agricoles et des zones naturelles. La meilleure alchimie étant souvent l’alliance avec des personnes connaissant très bien le territoire, capables de faire naître une contestation de terrain et de donner une visibilité publique à la lutte. Certains collectifs favorisent même l’arrivée d’espèces protégées sur leur lieu de lutte, pour aboutir à l’arrêt des travaux : non pas déplacer des espèces, mais les inviter à s’y installer en créant les bonnes conditions écologiques. C’est par exemple l’objet d’un chantier de création de mares par les habitant·es du quartier libre des Lentillères à Dijon, menacé de bétonisation. Ces dernier·es ont également recours à des exercices de « droit fiction », pour montrer qu’un autre droit foncier est possible. Ce travail a abouti à l’écriture de leur propre règlement d’urbanisme : la zone d’écologies communale (ZEC,lire notre article).
À l’échelle nationale, la Coalition foncière animée par Agter, la Confédération paysanne et Terre de liens, qui regroupe des acteurs agricoles, citoyens et environnementalistes, s’applique à proposer une loi foncière complète. L’émergence de telles inventions juridiques ne peut avoir lieu que grâce aux actions et alternatives foncières déjà portées sur les territoires, qui font exemple. En retour, les avancées du droit peuvent les faciliter ou les renforcer : le droit de préemption des Safer a été obtenu en 1962 à la suite d’un mouvement syndical d’ampleur, notamment contre l’acquisition massive de terres par l’acteur Jean Gabin (lire notre frise des luttes). Ce droit est utilisé très régulièrement pour permettre des installations paysannes et lutter contre la spéculation foncière, dont les Safer sont officiellement en charge. Cependant, elles peinent à mener seules cette mission à bien : le prix des terres a en moyenne doublé en vingt ans. Contre cette dynamique, des initiatives comme la foncière basque Lurzaindia demandent systématiquement à la Safer d’inter-venir pour faire baisser le prix des terres qui se vendent au-dessus du prix habituel local. Dans la même idée, le projet Terre Fert’île, avec l’appui de la commune de l’île d’Yeu et de la Safer Pays de la Loire, a permis depuis 2015 de faire baisser de 25 % le prix moyen de l’hectare de terre sur l’île.
« Faire appliquer la loi nécessite parfois une lutte âpre, surtout quand le droit offre des leviers d’action et possède une dimension émancipatrice. »
Ce travail juridique est aussi mené à l’échelle européenne pour subvertir la politique agricole commune (PAC). Son fonctionnement est archaïque : plus on a d’hectares, plus on touche d’argent. Ce système pousse donc les exploitations à s’agrandir sans augmenter leur nombre de travailleur·ses, empêchant les jeunes de s’installer sur de nouveaux projets. Le collectif Nourrir s’attaque à ce problème pour rendre palpable la possibilité d’une tout autre répartition des aides. L’idée est de réunir un nombre assez important d’acteurs aux légitimités diverses (agricole, environnementale, consommation responsable, solidarité internationale, bien-être animal) pour faire contrepoids aux lobbys privés et à leur influence sur les élus. Seule une part marginale des aides de la PAC finance aujourd’hui des pratiques agricoles bénéfiques, la majorité de l’argent étant injectée dans des fermes industrielles.
Tactique n°4 l’action directe
À l’opposé des structures qui travaillent sur des réformes bien ficelées et prennent le problème dans sa globalité, d’autres tentent de le saisir et de le résoudre d’un seul geste. De manière située, partielle, mais misant sur une résonance très large – comme un coup de pied dans la fourmilière. Contre la construction d’une bassine de rétention d’eau, on s’attaque à la pompe qui l’alimente. Contre l’industrie du béton, on bétonne son infrastructure pour la mettre hors d’usage. Contre l’artificialisation de terres agricoles, on cultive les terres expropriées. Contre l’accaparement, on récolte ses fruits, en allant faire les vendanges sur les terres de Bernard Arnault. Le mouvement des Soulèvements de la Terre prolonge ainsi l’héritage politique du syndicat des Travailleurs paysans, du Larzac, de Notre-Dame-des-Landes, de Bure et d’un grand nombre de luttes d’occupation contre des projets dits « inutiles », en prenant pour axe la question du foncier agricole comme angle d’attaque pour intervenir sur les questions écologiques actuelles. L’une des armes de ce mouvement est de faire le pari d’unecomposition intelligente entre différents groupes choisis – la Confédération paysanne, des associations environnementales et citoyennes locales, des groupes autonomes, Extinction Rebellion.
La condition de réussite de cette composition consiste à ne pas revoir à la baisse les objectifs de chacun pour mettre d’accord tout le monde. Chaque composante a des savoir-faire, une légitimité institutionnelle et une force médiatique différente : à chacune des actions de trouver la combinaison la plus juste et prometteuse. Dans chaque contexte, l’enjeu est de déceler l’alchimie opérante : une cible d’action atteignable et symbolique, un geste offensif et que l’on peut rejoindre, une situation localisée qui fait écho à d’autres endroits sur le territoire. Les Soulèvements de la Terre viennent appuyer une lutte lorsque celle-ci a besoin de faire basculer le rapport de force de son côté : il s’agit de trouver le moment propice. En général, il faut qu’un travail souterrain ait déjà eu lieu localement : une bonne connaissance du projet à contrer, de sa matérialité et de ses failles potentielles, une contestation déjà engagée sur le terrain du droit par des recours juridiques et des tentatives de mobilisations des habitant·es.
Le 6 novembre 2021, à Mauzé-sur-le-Mignon – rebaptisé pour l’occasion « Mauzé-sur-Bassine » –, la manifestation contourne la zone interdite délimitée par la préfecture et s’engouffre dans le lit du Mignon (à sec) pour atteindre la bassine qui contient toute son eau. Les bâches qui la recouvrent sont entaillées, et la pompe qui l’alimente démontée. L’eau retrouve alors son cours initial, et Nicolas Girod, porte--parole de la Confédération paysanne, promet d’apporter cette pompe au ministre de l’Agriculture pour lui prouver que les bassines ne sont pas alimentées par de l’eau de pluie, mais puisent dans des cours d’eau et des nappes existantes. Ce type d’intervention politique s’inscrit généralement dans une montée en puissance de la lutte, lorsque tous les autres canaux d’action ont été tentés et ont échoué ou se sont montrés insuffisants pour résoudre le problème. Quand la situation est critique et que les institutions compétentes sont incapables d’apporter une réponse satisfaisante dans une temporalité pertinente, l’occupation, le blocage ou le désarmement sont les trois modalités d’actions opérantes.
« Quand la situation est critique et que les institutions compétentes sont incapables d’apporter une réponse satisfaisante dans une temporalité pertinente, l’occupation, le blocage ou le désarmement sont les trois modalités d’actions opérantes. »
Il s’agit pour ce mouvement de reprendre des terres et en même tempsde s’attaquer aux industries qui les détruisent par l’extraction, la mécanisation, la chimie ou le béton. Laconcordancede ces gestes est ce qui leur donne sens. Des sites de production de béton de l’entreprise Lafarge situés sur le port de Gennevilliers ont ainsi été mis hors d’état de nuire le 29 juin 2021 après que du béton a été coulé dans les machines qui le produisent au quotidien. Dans la même campagne, les Soulèvements de la Terre se rendaient en Haute-Loire ou à Besançon où des projets d’artificialisation mettent en danger des terres arables et des zones naturelles. Des blocs combatifs se dessinent ainsi peu à peu : la coalition des jardins en lutte (dans des villes comme Aubervilliers, Besançon, Dijon), celle contre les contournements routiers (Haute-Loire, Toulouse, Rouen, etc.) ou encore contre les projets de bassines dans le Marais poitevin et ailleurs. Ils permettent à différentes luttes et localités de partager leurs expériences, d’identifier leurs ennemis et leurs faiblesses, de partager la connaissance du droit et de ses failles. Le mouvement propose aussi des soirées publiques, hors des temps d’action, pour élargir ses rangs et confronter ses hypothèses et analyses à celles et ceux qui veulent en discuter.
On pourrait comprendre ce mouvement comme l’entremêlement de deux dynamiques dont les temporalités et les finalités stratégiques sont complémentaires : une dynamique souterraine, sous la forme d’un travail d’enquête et de mobilisation au long cours effectué sur chaque territoire par des acteurs divers, dans le but de comprendre les enjeux et les pressions exercées sur le foncier, les forces en place, l’écologie propre de chaque localité et son histoire politique. Une autre dynamique, qui affronte la complexité du réel et l’inertie des institutions en se rendant capable d’accélérer le cours des choses sans prévenir et en opérant des coups de force : des instants politiques qui résonnent dans l’actualité et interpellent subitement les habitant·es, les élus, jusqu’aux ministères concernés.
Mettre en œuvre ces tactiques et les articuler nécessite de constituer des coalitions larges. Aujourd’hui les agriculteur·rices ne représentent que 2,5 % de la population active en France. L’agriculture est loin des préoccupations et du quotidien de nombreuses personnes. Une stratégie foncière fructueuse passera forcément par un rapprochement avec les luttes pour la santé, le vivant et l’alimentation, qui concernent tout un chacun. Il faut ainsi intégrer ces dimensions dans chacune des tactiques évoquées ci-dessous. Par exemple, la mise en œuvre d’une sécurité sociale de l’alimentation (lire notre article p. 106) serait un levier important de transformation de l’agriculture via un processus démocratique qui pourrait rapprocher politiquement l’organisation de l’accès à la terre avec le choix collectif de la nourriture à y produire. Peut-être que cela permettrait aussi de susciter des vocations agricoles pour atteindre le million de paysan·nes nécessaire à nous nourrir et prendre soin des terres agricoles demain.
Texte par Vincent Jeannot, Tanguy Martin et Adèle Planchard (membres de Reprise de terres)
Article issu de notre hors-série « Ces terres qui se défendent », disponible sur notre boutique.
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