Le technocrate
« L’opinion populaire sait maintenant reconnaître dans leurs visages glabres, distingués et interchangeables, dans la compétence tempérée de leurs propos, spécifiques et interchangeables, dans la diversité et dans la politesse de leurs réticences, pleines de sens mais interchangeables, la présence innombrable de la technocratie », écrivait en 1967 Jean-Pierre Chevènement. Dans ce pamphlet publié sous le pseudonyme de Jacques Mandrin, l’ancien ministre de l’Intérieur s’en prenait – non sans cruauté – à ses professeurs et camarades de promo de l’École nationale d’administration (ENA), attaqués pour leur carriérisme, leur vanité et leur panurgisme. En 2017, au tour des correcteurs eux-mêmes de se plaindre de la piètre qualité des candidats qui se sont présentés au concours d’entrée, coupables de « frilosité », pour beaucoup incapables de « proposer une réflexion, une vision personnelle » et obligeant le jury à « traquer [chez eux]l’originalité comme une denrée rare ».
Article issu de notre numéro 48 « Idiocratie ».
Un demi-siècle sépare ces deux algarades, au point de se demander si l’ENA n’a pas justement toujours eu pour vocation de secréter de hauts fonctionnaires au regard vide. Le problème n’est peut-être pas tant qu’une élite formée pour chapeauter l’administration du pays soit dépourvue de piquant ou d’audace – un État démocratique peut difficilement se...