On pourrait l’appeler le réseau des réseaux. Créé il y a plus de vingt ans, le pôle InPact réunit une dizaine de structures – coopératives, associations, fédérations… – autour d’une ambition commune : développer une agriculture paysanne qui soit aussi citoyenne (dans laquelle les habitants ont leur mot à dire et s’impliquent en donnant du temps ou de l’argent) et territoriale, donc « de proximité, non délocalisable, créant de l’emploi localement », détaille Vincent Jannot, chargé de développement et des partenariats chez Terre de liens. Ce mouvement citoyen est l’un des membres du pôle InPact, au côté de Nature & Progrès, de L’Atelier paysan ou encore du réseau des Amap.
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À la différence des autres structures, l’action de Terre de liens se focalise sur la lutte contre la concentration foncière et l’artificialisation des sols. Son credo : faire de la terre agricole un bien commun. « Nous cherchons à préserver des terres agricoles et à les rendre accessibles à ceux qui souhaitent s’installer comme paysans », résume le chargé de développement. Cette double ambition traduit une multitude d’objectifs : maintenir un tissu paysan actif, préserver une biodiversité importante, assurer une qualité de l’eau, lutter contre les crises sanitaires et contre le réchauffement climatique… Le combat est ardu. Deux tiers des surfaces agricoles libérées aujourd’hui à la suite de départs en retraite servent à l’agrandissement de fermes voisines, et 10 % sont artificialisées, réduisant ainsi considérablement les terres disponibles pour de nouvelles installations. Terre de liens estime pourtant qu’il faudrait atteindre un million de paysans d’ici trente ans, pour mettre en œuvre une agriculture résiliente, respectueuse des humains et de l’environnement. « Et pour cela, on a besoin de terres ! », rappelle Vincent Jannot.
Une goutte d’eau dans un océan de catastrophes
Au-delà d’actions d’information et d’accompagnement, cette démarche de reprise de terres passe par une foncière (une entreprise d’investissement solidaire) et une fondation reconnue d’utilité publique, qui permettent à un large public de s’engager chacun à sa façon : donner une partie de son épargne, céder une terre, devenir adhérent, actionnaire, bénévole, paysan… En pratique, la foncière achète des fermes pour les louer à des porteurs de projets paysans, à travers un bail rural comprenant des clauses environnementales. Ces dernières années, près de 119 millions d’euros ont pu être levés grâce à 18 000 actionnaires solidaires. Ces derniers n’engrangent aucun profit, mais ils peuvent, contrairement à des donateurs classiques, retirer leurs billes quand ils le souhaitent.
Quant à la fondation, elle permet de recevoir des fermes en donation ou en legs, mais aussi de recueillir des dons individuels, de bénéficier de mécénat ou de partenariats avec des collectivités. Grâce à ces deux structures, Terre de liens a acquis en propre 350 fermes, et a aussi accompagné dans leur installation une cinquantaine d’exploitations supplémentaires. Le bilan peut sembler positif, mais « c’est une goutte d’eau dans un océan catastrophique pour le monde paysan et la société », regrette Vincent Jannot. Car tandis que Terre de liens « sauve » une quarantaine de fermes par an, une centaine d’autres disparaît chaque semaine… L’action du mouvement citoyen vise donc davantage l’effet de levier : il s’agit de faire « bouger les lignes au niveau politique », et de faire prendre conscience à « tout mangeur » que l’agriculture est en lien direct avec la souveraineté alimentaire et la résilience climatique et énergétique.
Créer une brèche dans la forteresse agricole
Difficile de ne pas voir dans la décennie qui vient et la transmission massive de terres en prévision (5 millions d’hectares) une précieuse opportunité pour transformer notre modèle agricole et alimentaire – du moins pour peu que les obstacles au changement puissent être levés… Car ils sont nombreux. Il y a, déjà, l’opacité de l’accès à l’information foncière. 60 % des installations actuelles sont le fait de nouveaux venus qui se heurtent à une culture de « transmission villageoise », observe Vincent Jannot. On transmet plus facilement à son voisin qu’à celui qui vient d’ailleurs. Et même si les Safer, les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, diffusent les mises en vente de terres, ces organismes « ne sont pas assez outillés pour contrer une logique d’accaparement, une course à l’échalote visant l’agrandissement des terres, encouragée par la PAC ». Alors pour créer une brèche dans la « forteresse agricole » organisée autour de grosses coopératives agricoles, de points d’information des Jeunes agriculteurs et des chambres d’agriculture « tenues par la FNSEA », Terre de liens tente d’« allier les paysans et les citoyens, pour ne pas laisser l’agriculture entre les seules mains des agriculteurs ».
Au-delà de cette opacité structurelle et culturelle, accéder au foncier peut aussi relever d’une gageure financière. Difficile, quand on n’a pas reçu une ferme en héritage, d’acquérir une exploitation à un million d’euros. D’autant que seulement un tiers de ceux qui s’installent aujourd’hui bénéficie des dotations aux jeunes agriculteurs (en cause, entre autres, l’augmentation de l’âge des candidats, mais aussi la lourdeur administrative des dossiers). Terre de liens vise donc à sortir la terre de la spéculation et du marché, pour limiter l’endettement paysan, lequel génère un mal-être, et encourage des logiques de rentabilité liées à une agriculture plus intensive. In fine, c’est la notion même de propriété privée individuelle qui est remise en question. Les terres achetées par la foncière Terre de liens ne sont pas revendues, sinon à des structures qui garantissent la non-spéculation. Mais aujourd’hui, cette vision politiquede l’agriculture et de l’alimentation est prise entre deux feux – le modèle intensif prôné par le syndicat majoritaire, et l’avidité de grandes firmes de l’agro-industrie – et manque cruellement d’un relais institutionnel.
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