Cette tribune a été publiée dans le numéro 36 de Socialter, "Et si tout devenait gratuit ?", disponible sur notre boutique en ligne.
Proposer un « éloge raisonné de la gratuité », c’est courir le risque de rebuter d’entrée de jeu le lecteur. Dans cette formulation quelque chose met sourdement mal à l’aise, comme s’il s’agissait de marier le chaud et le froid, la carpe et le lapin, de concilier des inconciliables. Peut-on rechercher raisonnablement la gratuité ? La gratuité peut-elle être du côté du raisonnable ? Voilà qui n’est nullement évident. D’un côté, l’idée de gratuité évoque ce que nous désirons au plus haut point : recevoir tout ce que nous désirons, sans avoir besoin de rendre ni même de demander.
Mais, d’un autre côté, elle représente aussi la figure par excellence de l’impossible. « There is no such thing as a free lunch [il n’existe pas de repas gratuit] », disent les Anglo-Saxons. Et il y a peu de chances que « demain, on rase gratis ». Ainsi prise en étau entre désirabilité extrême et impossibilité radicale, l’aspiration à la gratuité semble devoir échapper à la raison. Et plus encore, peut-être, au raisonnable, à la mesure. La gratuité pure, n’est-ce pas ce qui semble devoir couler à flots, en abondance, sans jamais s’arrêter ?
Et pourtant, il nous faut bien procéder à des arbitrages et déterminer quelle part de nos désirs il est effectivement possible de satisfaire,...