Nous sommes fin 2014. Raphaël arrive en Italie après un périple de plusieurs milliers de kilomètres depuis son pays d’origine en Asie du Sud-Est. Avant de partir, cet étudiant diplômé en informatique avait acheté un visa pour intégrer l’espace Schengen et acquis un passeport indien, pays dont il n’est pas originaire pour faire le voyage. “J’ai ensuite pris un train jusqu’à Calais, où je ne suis resté que trois heures”, précise-t-il. “Puis j’ai décidé de demander l’asile en France”. Pourtant, le jeune homme ne parle pas du tout la langue de Molière. Pire, il n’a pas réussi à venir avec son diplôme d’ingénieur car la cérémonie de remise s’est déroulée après son départ.
Les premiers pas en France sont donc difficiles. Il reçoit son statut de réfugié à la fin de l’année 2015 puis sa carte de séjour en mars 2016. Déjà plus d’un an d’attente depuis son arrivée. Pour se loger, le jeune homme a échangé ses Bitcoins, qu’il avait commencé à collecter en 2009, contre de la monnaie réelle. Il se retrouve dans un appartement de 8 mètres carrés après avoir vécu pendant trois mois avec dix personnes dans une chambre de 15 mètres carrés.
Pour travailler, Raphaël doit renouveler un récipicé tous les trois mois. “C’est difficile pour trouver un emploi”, raconte-t-il. “Après chaque demande, le recruteur me demande comment je fais pour renouveler le document”. Ce passionné d’informatique -il a réalisé ses premiers programmes alors qu’il n’avait que 6 ans- travaille dans le développement visuel de sites pour gagner sa vie. “Mais je suis très mal payé, j’ai donc décidé de reprendre des études pour avoir un meilleur salaire”.
Seize heures de travail par jour
Et l’apprentissage du Français? “J’ai commencé à l’étudier au début de l’année 2015 dans une école, j’y allais une fois par semaine pendant deux mois, se remémore-t-il. Pour m’aider je me suis servi aussi d’un livre avec des leçons”. Raphaël a dû se débrouiller seul car l’État ne donne pas de cours de Français aux demandeurs d’asiles. Pour valider son travail, il passe un diplôme de niveau B1. “Pour le pratiquer je me suis servi de l’application Meetup où j’ai pu me faire des amis. Je suis allé aussi dans des clubs de lecture”.
En parallèle, le réfugié est bénévole pour Techfugees, et demande de l’aide pour reprendre ses études. “Quelqu’un me parle d’une ONG allemande, Kiron(*), qui a commencé en France en 2016”, se souvient-il. Le programme Kiron propose à des étudiants réfugiés une inscription gratuite en ligne pour suivre un Mooc. “L’objectif est d’intégrer les réfugiés dans l’enseignement supérieur”, explique Marie Baulu, responsable de la communication chez Kiron. À la fin de celui-ci, Kiron les met en relation avec une des douze universités partenaires pour reprendre un cursus classique.
Raphaël s’implique totalement dans le programme auquel il s’inscrit en novembre 2016, “il peut travailler jusqu’à 16 heures par jour, c’est l’élève le plus assidu de nos 200 inscrits”, témoigne Marie Baulu. “Nous leur demandons de travailler environ 35 heures par semaine”. Son implication lui permet de suivre en une seule année l’équivalent de deux ans de cours.
1% des personnes déplacées accèdent au supérieur
Raphaël a repris un cursus universitaire classique en septembre dernier avec le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), directement en deuxième année. “J’ai étudié quatre unités d’enseignement pour sauter la première année. Je suis maintenant une formation d’analyste programmeur que je terminerai en mai 2018. Je vais ensuite démarrer un diplôme d’ingénieur qui va durer trois ans, mais toujours en cours du soir”. Le jeune homme termine ses journées à 21h30. Enfin terminer… “Je travaille ensuite chez moi pendant trois heures environ”. Et la journée? “J’étudie la gestion de projets”. Son parcours est valorisé sur son CV. “Depuis que j’ai spécifié sur mon compte Linkedin que j’étudiais au Cnam, j’ai reçu pas mal de messages pour des offres de stages. Je ne sais pas encore où je vais le faire, mais il se terminera en juin prochain”.
Le profil de Raphaël est exceptionnel et pas seulement pour sa force de volonté. “Seulement 1% des personnes déplacées dans le monde accèdent à l’enseignement supérieur. Cela s’explique car il y a des barrières énormes: la langue, le fait que l’on ne peut pas suivre de cursus universitaire si l’on n’a pas le statut de réfugié, des soucis financiers et la capacité limitée de l’enseignement supérieur”, explique Marie Baulu. Il est aussi pour le moment l’unique étudiant à avoir intégré une université après avoir suivi le cursus en ligne. “La majorité de nos étudiants n’est pas actif car c’est un investissement énorme et qu’un simple problème, de logement ou d’ordinateur par exemple, peut faire décrocher”.
NB (*): En janvier 2018, l'association Kiron France devient l’association UniR: Universités & Réfugié.e.s. La vocation de cette entité reste celle d’accompagner les personnes réfugiées et demandeuses d’asile dans leur accès à l’enseignement supérieur en France, à travers deux volets: celui de l'acquisition du Français ainsi que la mise en place de dispositifs d'accompagnement iindividuel d'accès et de réussite au sein de l'université.
Photo: @KironFrance
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