Depuis les années 1970 plusieurs villes européennes, en particulier d’anciennes villes industrielles, sont confrontées à un phénomène de déclin économique, souvent accompagné d’un déclin démographique, de leur territoire. Dans les média, ces territoires stigmatisés sont perçus comme victimes d’une mondialisation qui ne leur a pas laissé la possibilité de se maintenir à flot dans la compétition économique. En effet, les villes subissent une injonction continue à la métropolisation, à l’attractivité, à la croissance démographique et à la compétition globale. Les territoires qui perdent des habitants sont donc vus comme peu susceptibles d’être attractifs pour les habitants et les entreprises, et d’être compétitifs dans la mondialisation.
Territoires agricoles ou anciennes régions industrielles, ils ne semblent pas pouvoir faire face à l’économie tertiarisée du XXIe siècle, et suscitent à ce titre peu l’intérêt des pouvoirs publics. À ces problématiques économiques et sociales s’ajoute désormais l’enjeu environnemental. L’urgence climatique à laquelle nous sommes confrontés s’exprime à travers des épisodes climatiques extrêmes mais également dans la mobilisation de nombreux citoyens et citoyennes, particulièrement les plus jeunes.
Vers la résilience
L’échec des négociations climatiques internationales conduites par les Etats ouvre le champ à la mobilisation de nouveaux acteurs, les villes en premier lieu. Si certaines métropoles comme Vancouver ou San Francisco ont fait de leur politique « verte » une vitrine, trop peu de recherches sont menées à l’heure actuelle concernant les politiques socio-environnementales mises en place par les villes moyennes européennes. Plus généralement, le lien entre territoires en « déclin » et politique environnementale n’est pas assez présent dans la recherche académique française.
Or, nous avons eu l’intuition que ces territoires, incapables de répondre aux impératifs de croissance économique et démographique, peuvent en revanche parfaitement s’adapter au « nouveau régime climatique » qui caractérise notre époque selon le philosophe Bruno Latour, et sont capables de répondre à un autre impératif, celui de la résilience.
En 2018 notre association, en partenariat avec Urbanistes du Monde, a lancé le projet « Urbanistes de la Transition » et a envoyé plusieurs étudiants et étudiantes sur des terrains de recherche d’un mois autour de la thématique « Urgences écologiques, urgences démographiques, quel urbanisme de transition(s) ? ». Les terrains de recherche des élèves envoyés par Ville et Décroissance étaient situés en Europe, dans un soucis de mobilité décarbonée mais également parce que nombre de villes et de territoires non urbains du continent ne sont pas suffisamment présents dans la recherche académique autour de l’urgence écologique et démographique.
Nouvelles recherches, nouveaux récits
Le but du projet Urbanistes de la Transition est donc de mettre en lumière ces villes et territoires qui décident d’utiliser leur mutation démographique pour développer des politiques locales à la fois écologique et sociales. Face au récit dominant de la métropolisation et de l’attractivité économique, il s’agit d’en proposer un autre, celui de la résilience écologique et sociale.
Parmi ces nouveaux récits susceptibles de nous aider à imaginer les territoires de demain, la notion de décroissance, démographique et économique, est souvent perçue comme négative pour le développement futur des villes et des territoires. Or, il ne s’agit pas d’une fatalité, à condition qu’émerge une volonté politique forte permettant à cette décroissance de s’organiser autour d’idéaux et de pratiques qui redonnent de l’autonomie aux habitants et de la résilience au territoire.
Les premiers résultats des recherches conduites par les élèves sont prometteurs. En témoignent deux exemples :
La gestion des vides urbains à Dessau
Parmi les projets sélectionnés, le terrain de Guillaume Surmont et Gaëtan Kimmel à Dessau, à l’Est de l’Allemagne. Dessau fait partie des schrumpfende Städte (villes en rétrécissement), ces villes de l’ex-RDA qui ont peu à peu perdu en démographie et en attractivité économique à la suite de la réunification allemande. Dessau est donc un exemple par excellence de ville en décroissance.
Après plus d’un mois sur place à interviewer de nombreux habitants, responsables municipaux et associatifs, Guillaume et Gaëtan présentent Dessau comme un « laboratoire de gestion pour la décroissance urbaine ». Dans leur rendu, ils soulignent à quel point Dessau tente de s’inscrire dans un paradigme de post-croissance plutôt que de décroissance, notamment via la question centrale de la gestion des vides urbains.
Pour Gaëtan et Guillaume, ces vides constituent autant un fardeau qu’un tremplin pour une évolution post-croissance. Un fardeau car ces vides urbains interrogent la municipalité sur la bonne manière de les transformer. Un tremplin malgré tout car pouvant donner lieu et espace à des projets engagés. Typiquement : la reconversion d’un ancien hôpital militaire en VorOrt Haus, c’est-à-dire un lieu alternatif, non-marchand et autogéré où se croisent de nombreuses initiatives comme des ateliers créatifs pour les enfants, une bourse d'échange ou encore une cuisine partagée.
La municipalité de Dessau pourrait néanmoins être plus proactive et créative vis-à-vis des initiatives citoyennes, et adopter un rôle de facilitateur en levant des obstacles à l’expression de cette énergie citoyenne. Plus largement, le projet de Guillaume et Gaëtan invite les communes à accepter leur statut de ville décroissante afin d’en faire un atout socio-écologique plutôt que de le percevoir comme un potentiel handicap.
Agriculture et inclusion à Bruxelles
Trois étudiantes se sont elles rendues en périphérie de Bruxelles, à Watermael-Boitsfort, afin d’y étudier le projet d’agriculture urbaine SAULE (Symbiose Agriculture Urbaine Logement Écosystème). Pour cette ancienne cité-jardin soumise à une forte pression démographique avec l’arrivée d’une population bruxelloise, la question alimentaire est très prégnante. En réunissant des citoyens, des professionnels de l'agriculture urbaine, des spécialistes et des urbanistes, le projet SAULE tente d’associer agriculture urbaine et création de nouveaux logements.
Sur place, les trois étudiantes Alisson Argoud, Alice Boidin et Claudia Corazzanielles ont été accompagnées par l’équipe du projet SAULE et ont pu visiter les différentes installations du projet, notamment la ferme du Chant des Cailles. Au travers des disciplines du paysagisme, du droit et de l’urbanisme, elles ont identifié les contraintes auxquelles le projet fait face en raison de la nouveauté qu’il représente dans le paysage de l’urbanisme et l’agriculture en Belgique : dépollution des sols, manque de foncier ou encore mauvaise prise en compte de l’agriculture urbaine dans les Plans Locaux d’Urbanisme. Pourtant, les éléments contribuant au projet en font une expérience exemplaire pour l’avenir de l’agriculture urbaine.
« Par le biais du projet SAULE, nous avons réellement pu prendre conscience des efforts à mettre en œuvre pour penser la ville autrement qu’en opposant agriculture urbaine et logement » témoignent les trois étudiantes. « Notre expérience sur le terrain nous a donné la conviction qu’une grande partie de la population est prête à s’investir dans des projets qui respectent le vivant et les relations humaines. »
Au vu de la grande complexité de la crise écologique que nous vivons aujourd’hui, il est urgent de repenser de manière radicale la fabrique de la ville actuelle. Changer la manière de concevoir les systèmes alimentaires qui desservent la ville est une nécessité pour garantir des conditions de vie décentes et assurer de l’entraide pour bon nombre de personnes. Cela suppose de remettre en question l’artificialisation des sols et les intérêts économiques à court terme pour donner une place plus importante à la biodiversité en ville.
Agir sur les politiques publiques et la réglementation en urbanisme permettrait d’accompagner les initiatives citoyennes comme le projet SAULE, et de faire confiance à des formes d’agriculture urbaine qui permettraient de réduire notre dépendance au système alimentaire globalisé tributaire du pétrole. Ainsi c'est toute notre manière de faire la ville qui serait transformée.
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