Wangari Maathai, la femme qui plantait des arbres
Découvrez le portrait de la militante Wangari Maathai, prix Nobel de la paix et fondatrice du mouvement Green Belt.
Découvrez le portrait de la militante Wangari Maathai, prix Nobel de la paix et fondatrice du mouvement Green Belt.
Le reste des portraits de militants écologistes est à découvrir dans notre hors-série L'Écologie ou la mort, disponible sur notre site.
Le 5 juin 1977, quelques centaines de personnes marchent vers un parc en bordure de Nairobi, la capitale du Kenya. Pelle à la main, Wangari Maathai mène la cérémonie : sept arbres sont plantés en cette journée de la Terre, en hommage à différentes figures de la communauté kényane. Ce sont les premiers des 40 millions que Wangari Maathai contribuera à planter au cours de sa vie, ce qui lui vaudra le surnom de « la femme qui plantait des arbres », ainsi que le prix Nobel de la paix en 2004. À cette époque déjà, Wangari Maathai a un parcours exceptionnel. Née dans une famille modeste en 1940 sur les hautes terres du pays, non loin du mont Kenya, elle commence par aider ses parents aux champs avant que son frère ne les persuade de l’inscrire à l’école. Élève enthousiaste, elle poursuit ses études au lycée de Nairobi.
En 1960, alors que le Kenya marche vers l’indépendance vis-à-vis de l’Empire britannique, Wangari Maathai fait partie des 300 élèves qui obtiennent une bourse pour étudier à l’étranger et former la future élite du pays. Elle s’envole pour les États-Unis, où elle a l’occasion d’observer le mouvement des droits civiques, puis part pour l’Allemagne, avant de retourner à Nairobi où elle obtient un doctorat en médecine vétérinaire : c’est la première femme en Afrique de l’Est à atteindre un tel niveau d’études. Après avoir bataillé pour plus d’égalité entre hommes et femmes au sein de l’université, elle devient la première femme noire professeure d’université, avant de se voir confier la chaire de biologie vétérinaire. Sa liberté en agace plus d’un, à commencer par son mari, qui demande le divorce au prétexte d’adultère. Wangari Maathai reconnaît les faits et les raconte en riant, avec force détails, expliquant qu’il lui a bien fallu prendre un amant puisque son mari ne la satisfaisait pas sexuellement. Outré par son mépris des conventions, le tribunal prononce le divorce ; le scandale brise la carrière universitaire de la jeune femme.
Entre-temps, ses recherches sur le terrain l’ont amenée à réfléchir à trois problèmes : la déforestation, les inégalités de genre et la pauvreté. Pour elle, ces trois éléments sont indissociables : « Une personne pauvre abattra forcément le dernier arbre pour préparer son dernier repas, a-t-elle déclaré. Mais plus vous dégradez l’environnement, plus vous vous enfoncez dans la pauvreté. » Une sorte de « fin du monde, fin du bois, même combat ». Elle constate que si les habitants des régions rurales – en particulier les femmes – manquent d’eau, de bois et de ressources alimentaires, c’est à cause de la déforestation, qui cause l’érosion des sols et dégrade les cours d’eau. « J’ai analysé les problèmes, compris leur origine, restait à trouver des solutions, écrit-elle en 2006 dans son autobiographie, Unbowed : A Memoir(« Insoumise : Mémoires »). La réponse s’imposa : planter des arbres ; mais qui planterait des arbres par milliers ? Les femmes, bien entendu ! »
Elle fonde en 1977 le Mouvement pour la ceinture verte (Green Belt Movement) pour reboiser le Kenya. Sa stratégie est novatrice pour l’époque : Wangari Maathai commence par sensibiliser les groupes de femmes à la déforestation et leur accorde une rémunération (modique) basée sur le nombre de plants survivants au bout d’un certain nombre d’années. Ces pratiques de développement par le bas, à une époque où les élites kényanes n’envisagent de transformer le pays qu’au travers de grands projets impulsés par l’État, séduisent les agences de développement des pays du Nord, qui financent abondamment le mouvement.
Pour mener à bien son combat écologiste, Wangari Maathai emprunte le chemin de la politique conventionnelle. En 1978, Daniel arap Moi prend le pouvoir au Kenya. Au cours de son règne, qui durera 24 ans, il mène une politique clientéliste basée sur la distribution des terres publiques, et surtout des forêts. Le tout jeune Mouvement pour la ceinture verte est alors la seule organisation du pays à s’opposer à la déforestation : c’est un tremplin pour la jeune professeure, qui obtient plusieurs victoires contre le pouvoir. Elle doit s’exiler un temps en Tanzanie, est rouée de coups par des nervis de Daniel arap Moi, et écope de quelques peines de prison, mais continue d’être de tous les combats, dans l’arène politique comme devant les bûcherons et leur scie électrique.
La démocratie revient au Kenya en 2002. Wangari Maathai, alors figure incontournable de l’opposition, obtient un poste ministériel de seconde zone, secrétaire d’État à l’Environnement en charge de la gestion des forêts. En 2004, elle devient la première femme africaine à obtenir le prix Nobel de la paix. Pourtant, l’accueil de cette distinction est plutôt mitigé dans les médias occidentaux : Le Monde, qui la croque en personnage « incontrôlable », souligne les parts d’ombre de la militante. En cause : des prises de position ethnicistes, qui l’amènent à défendre l’excision (elle changera ensuite de position sur le sujet) ou à stigmatiser les populations indiennes du Kenya pour s’attirer les votes de l’ethnie kikuyu, à laquelle elle appartient. Les associations environnementalistes, elles, en profitent pour demander : où sont les 40 millions d’arbres ?
Après avoir longtemps planté des variétés à croissance rapide et d’origine étrangère, comme les eucalyptus, le Mouvement pour la ceinture verte a opéré un retour vers les essences locales dans les années 1990 ; mais les pépinières semblent battre de l’aile. Quand certains avancent que les végétaux ont été exploités par les fermiers, qui les plantaient à des fins commerciales, d’autres mettent en cause la rigueur du comptage.
Quand Wangari Maathai meurt, en 2011, elle laisse un héritage riche et complexe. Celui d’une pionnière qui a défié les hommes et les normes de son temps, qui a œuvré pour les femmes et les forêts kényanes, et qui a prôné une écologie sans concession. Celui, aussi, d’une politicienne virulente, parfois populiste, motivée par la défense de l’ethnie kikuyu. « Quand nous plantons des arbres, nous semons aussi des idées », a-t-elle écrit dans son autobiographie : son combat reste une source d’inspiration pour nombre de jeunes militants africains, au travers du Mouvement pour la ceinture verte, qui poursuit son œuvre, mais aussi de diverses fondations créées en son honneur à travers le continent.
Socialter est un média indépendant et engagé qui dépend de ses lecteurs pour continuer à informer, analyser, interroger et à se pencher sur les idées nouvelles qui peinent à émerger dans le débat public. Pour nous soutenir et découvrir nos prochaines publications, n'hésitez pas à vous abonner !
S'abonnerFaire un don