Difficile de faire plus inclassable que William Morris (1834-1896) : né aux premières heures de l’Angleterre victorienne, ce Britannique fut fabricant, designer textile, imprimeur, éditeur, traducteur, romancier, poète, conférencier, peintre, dessinateur et architecte, cofondateur du courant politique Socialist League en 1885 et inspirateur du mouvement Arts and Crafts qui entendait réformer les arts décoratifs. Inclassable et chamarrée est aussi sa pensée, palette aux nuances d’utopisme, de socialisme, de marxisme, s’exprimant dans tous les domaines et de toutes les manières.
Cet esthète révolutionnaire porte une exigence fondamentale simple : « le droit de vivre dans un monde de beauté ». Quitte à revendiquer, dans le célèbre texte Comment nous pourrions vivre, une forme de « désobéissance artistique » à la manière d’un Thoreau. « Je n’accepterai point d’endosser l’habit rouge du soldat ni qu’on m’envoie tirer sur mon ami français, allemand ou arabe dans une querelle dont le sens m’échappe : je me rebellerai plutôt. Je n’accepterai pas non plus de gaspiller mon temps et mon énergie à fabriquer un colifichet dont je sais que seul un imbécile en voudra ; je me rebellerai plutôt. »
Mais sa résistance est œuvre d’édification, et sa plume se met au service d’un projet concret, qu’il décrit dans ses conférences et sous la forme utopique dans Nouvelles de nulle part, roman de science-fiction publié en 1890 et imaginant un monde artisanal, sans argent, en harmonie avec la nature. Pour Morris, l’artisanat et les arts décoratifs, en plus d’être désirables, sont également subversifs dans une société qui s’industrialise rapidement. « Nous sommes les derniers représentants de l’artisanat auquel la production marchande a porté un coup fatal », se désole-t-il dans L’Art et l’Artisanat d’aujourd’hui.
Face à la laideur du colifichet standardisé et destiné à la consommation (bientôt) de masse, l’artisanat ajoute de la beauté aux objets, un supplément d’âme, mais aussi de la beauté à l’acte de travail lui-même, et donc finalement au travailleur et au monde qui l’entoure. La machine n’est pas absente du rêve de Morris, mais elle est simplement employée pour « soulager les gens de la partie la plus mécanique et la plus rebutante du travail nécessaire ». Le révolutionnaire s’inscrit ici dans la pensée d’Aristote : confier les tâches liées à la survie à des automates est le moyen idéal de la liberté. Au-delà, pour déterminer l’emploi d’une machine ou le recours au travail à la main, seul compte « le plaisir de l’ouvrier et la qualité du produit ».
Le romancier
Depuis quelques années, la France redécouvre les œuvres romanesques de William Morris, notamment grâce au travail des éditions Aux Forges de Vulcain. Dernière réédition en date, Le Lac aux îles enchantées, l’épopée fantastique et initiatique d’une jeune femme qui cherche sa place dans le monde.
Le poète
Y a-t-il un exercice auquel le polymathe Morris ne s’est pas confronté ? À 23 ans, il brodait des vers, déjà à contre-courant. S’il emprunte un style classique, le propos de La Défense de Guenièvre (Libertalia) l’est moins : Morris donne la parole à l’accusée plutôt qu’aux chevaliers et en fait une héroïne libre, seulement coupable de vouloir aimer librement.
L’artisan
Une exposition sera consacrée à l’artisan Morris à la Piscine de Roubaix du 8 octobre 2022 au 8 janvier 2023. Le visiteur pourra y découvrir une centaine d’œuvres – peintures, dessins, mobiliers et textiles – provenant de différentes collections publiques, dont celle du Musée d’Orsay.
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