Référence mondiale de la pensée en écologie, Bruno Latour approfondit dans ce texte inédit le concept de «classe géosociale» esquissé dans son dernier essai, Où suis-je? (Editions La Découverte, 2011).
Le philosophe et anthropologue de la modernité dessine ainsi les contours d’une nouvelle classe écologique qu’il appelle de ses vœux, et dont la préoccupation ne serait plus de veiller à la seule production économique, mais aux conditions de reproduction de la vie.
BASCULES 2021
Pour sortir de l'impasse
La collection Bascules de Socialter offre en 148 pages une tribune aux penseurs et activistes dont l’originalité et le tranchant détonnent dans le paysage intellectuel et médiatique, en proposant des textes inédits, rassemblés au sein d’un objet hybride entre la revue et le recueil littéraire. Les illustrations ont été réalisées par l'artiste Ben O'Neil.
SOMMAIRE
Bruno Latour, La lutte des classes sera géosociale
Annie Le Brun et Juri Armanda, Au-delà du vide
À partir de la récente vente à prix d’or d’une oeuvre d’art numérique, Annie Le Brun et Juri Armanda poursuivent leur réflexion sur les images et leur accaparement par le capital entamée dans Ceci tuera cela (Stock, 2021). Ladite oeuvre, assemblage de cinq mille images, incarne une production du rien révélatrice de ces nouveaux « marchés du vide » créés par le capitalisme actuel qui, du « zéro émissions » au « sans gluten », colonisent tous les pans de notre vie.
À cette nouvelle éthique de consommation pseudo-écologique, les deux essayistes opposent la beauté inappropriable de la nature, en laquelle ils appellent à puiser une force de liberté pour résister à l’asservissement marchand.
Jocelyne Porcher, Réincarner nos relations aux animaux de la ferme
Alors que l’élevage et l’abattage industriels scandalisent de plus en plus de citoyens, Jocelyne Porcher revient sur les origines de l’exploitation de masse des animaux de ferme. La directrice de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (INRAE) démontre que, loin d’être une dérive, l’atrocité de leur traitement est constitutive de l’apparition de la zootechnie, qui réduit ces bêtes au rang d’objets soumis à des impératifs industriels. S’élevant contre cette exploitation et son nouvel avatar progressiste qu’est l’agriculture cellulaire, elle appelle à sortir de cette relation pathologique aux animaux de ferme grâce à un retour à l’élevage paysan.
Anselm Jappe, Après le béton
Matériau de construction favori du capitalisme, le béton apparaît comme le symbole d’une logique destructrice, qui enlaidit et uniformise le monde tout en épuisant ses ressources. Anselm Jappe rebondit sur son dernier essai, Béton.
Arme de construction massive du capitalisme (L’Échappée, 2020), pour dessiner les contours d’une nouvelle architecture heureuse.
Celle-ci s’appuie autant sur l’urbanisme poétique et ludique de l’utopie situationniste de Guy Debord, dont il est spécialiste, que sur la puissance créative émanant de l’intelligence collective qui a façonné des architectures éblouissantes, comme sur le littoral méditerranéen.
Verónica Gago, Le féminisme, une force contre le néo-libéralisme
L’intellectuelle et activiste argentine Verónica Gago analyse la brutalité du néolibéralisme avec un prisme féministe qui en révèle la violence jusque dans l’intime. En écho à son essai La Puissance féministe (Divergences, 2021), elle cerne deux tendances accentuées par la crise liée à la pandémie : une prédation financière sur les plus précaires grâce à une logique d’endettement croissant, qui justifie ensuite leur exploitation toujours plus poussée par le travail.
Par-delà sa force analytique, le féminisme offre aussi des moyens d’action pour une remise en cause profonde de cet ordre, avance Verónica Gago membre du collectif anti-féminicide Ni Una Menos (« Pas une de moins »), qui défend la grève comme outil privilégié de transformation radicale.
Lamya Essemlali, Lettre à ma jeune âme révoltée
Dans notre époque où les désastres écologiques s’accumulent, s’engager dans l’action directe devient une nécessité. Politique, d’abord, pour lutter contre l’attentisme insupportable des dirigeants face à la catastrophe, mais aussi intime : en choisissant de vouer sa vie à la défense des océans, Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France, a d’abord répondu à une nécessité existentielle, celle de donner un sens à sa vie dans une époque qui œuvre à l’aseptiser.
Avec cette lettre destinée à la jeune femme qu’elle était à 20 ans, Lamya Essemlali s’adresse à tous les hésitants, jeunes comme moins jeunes, pour montrer que la voie de l’engagement est aussi celle de l’épanouissement !
Pierre Crétois, Pour une copossession du monde
L’époque moderne, inspirée par la pensée libérale, a donné un caractère absolu à la propriété privée Mais cette vision s’avère aujourd’hui obsolète et constitue un verrou majeur aux adaptations rendues nécessaires par les désastres écologiques, comme à l’indispensable mise en commun des ressources dont de plus en plus d’humains sont privés.
Récusant cette approche qui rend possible l’appropriation du monde, le philosophe Pierre Crétois pose les bases d’une nouvelle définition de la propriété où les choses ne pourraient être que démocratiquement copossédées, et donc inappropriables à l’échelle des individus.
Closing Worlds Initiative, Concevoir les politiques de l'anthropocène
Imaginer des politiques publiques pour l’Anthropocène réclame de devoir gérer notre héritage d’infrastructures et de modèles économiques inadaptés à notre situation critique.
Alexandre Monnin, Diego Landivar et Emmanuel Bonnet s’y attèlent concrètement à travers leur initiative Closing Worlds, menée avec l’équipe de chercheurs d’Origens Media Lab.
À travers deux enquêtes menées dans ce cadre – sur l’arrêt de la construction neuve en Île-de-France et la gestion des équipements sportifs vieillissants –, ils esquissent des pistes afin d’hériter de ces « communs négatifs » dans un temps d’urgence écologique qui requiert, selon eux, une « nouvelle science de l’arbitrage public ».