Hors-série numéro 15

Hors-série numéro 15

Ces terres qui se défendent

Avec le collectif Reprise de terres en rédacteurs en chef invités : 180 pages pour défendre nos terres agricoles contre l'accaparement. Nous sommes au seuil d’une catastrophe foncière. Dans les dix prochaines années, la moitié des agriculteurs français va partir à la retraite, et c’est près d’un quart du territoire français qui va changer de mains. Alors comment inventer des tactiques foncières, politiques et juridiques pour contrer cet accaparement ? Comment résorber les divisions historiques entre paysannerie et protection du vivant ?

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PROLOGUE

Les terres plutôt que la Terre : édito

Par Philippe Vion-Dury, rédacteur en chef de Socialter.
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La terre ou rien !

Éditorial du hors-série « Ces terres qui se défendent », par le collectif Reprise de terres.
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Paysans : histoire d'une extinction de masse

Alors qu’ils représentaient un tiers des travailleurs français en 1946, les paysans sont aujourd’hui une espèce en voie de disparition. De la modernisation des « Trente glorieuses » aux réformes de la politique agricole commune des années 1990, leur effacement, spectaculaire, n’a rien d’un accident historique. C’est l’histoire d’une dépossession, voulue par l’État et une puissante élite agricole, au profit d’une agriculture industrielle concentrant les terres et les machines.

Un siècle de luttes foncières

Au cours du dernier siècle, agriculteurs et paysans n’ont cessé de se dresser pour défendre leurs terres, que ce soit de leur accaparement par quelques riches propriétaires ou des remembrements successifs visant à faciliter la mise en place d’une agriculture productiviste. La lutte se poursuit aujourd’hui contre l’artificialisation sans répit des terres agricoles, et prend de nouvelles formes.

Isabelle Stengers : « il faut à la fois lutter et guérir »

Recomposer des communs depuis la terre réclame un combat d’ordre cosmopolitique. Autrement dit, les luttes de terrain devront aller de pair avec un bouleversement de nos conceptions, en vue de nouer des alliances avec les autres vivants. En revenant sur la trajectoire historique qui a conduit à l’éradication des communs et de la culture qui y était rattachée, Isabelle Stengers, figure mondiale de la pensée écologique, montre comment leur actuelle résurgence ouvre la voie à une redéfinition profonde de notre façon de faire communauté.

Dictionnaire critique

Dans le vocabulaire attaché au monde agricole et foncier, de nombreux mots adoptent une dimension positive qui, bien souvent, masque des dessous moins enjôleurs. Services environnementaux, compensation écologique, écoquartier, modernisation, agriculture raisonnée... Ceux qui accaparent et détruisent les terres sont passés maîtres dans l'euphémisme et la récupération. Socialter s’est livré à une petite sélection critique.

PARTIE 1 EMPRISES

Lucile Leclair : « La terre n'est pas un bien comme un autre »

À la faveur de la crise de l’agriculture française, des multinationales de l’agroalimentaire ou du cosmétique font depuis les années 2010 main basse sur des milliers d’hectares de terres. Échappant à la régulation du marché du foncier agricole, ces grands groupes développent à l’abri des regards une agriculture... sans agriculteurs. La journaliste Lucile Leclair a enquêté dans Hold-up sur la terre (Seuil, 2022) sur l’essor inquiétant de cette « agriculture de firme ».

Infographies

Agriculteur : une profession exsangue
Des terres trop spécialisées
La France toujours accro au béton
Le sauvage repoussé aux marges

Quand la tech prend la clé des champs

Agrorobotique, collecte de data en plein champ, « clôtures virtuelles », drones pulvérisateurs... La campagne est en train de devenir le nouveau terrain de jeu des entrepreneurs de la tech, à grand renfort d’argent public. Prétendument « verte », cette escalade technologique marque une nouvelle étape dans l’élimination progressive du travail paysan.

Le Vaucluse, département artificiel

Entre projets d’entrepôts logistiques et construction de lotissements, le Vaucluse subit une pression foncière continue. Les menaces qui pèsent sur les terres fertiles de ce département historiquement agricole ont suscité l’émergence d’un mouvement citoyen de contestation, qui alerte sur l’impact environnemental, alimentaire et hydrique d’une telle bétonisation.

Gaëtan du Bus : « La concentration de la propriété forestière est un verrou au changement »

Depuis une dizaine d’années, le petit monde de la gestion forestière est secoué par la contestation des coupes rases et les effets du dérèglement climatique. Mais le dialogue avec la société civile peine à s’établir, tant la gestion forestière doit s’adapter aux «besoins» d’une filière bois industrialisée

Rage against the bassines

Aux alentours de Niort, une quinzaine de gigantesques retenues d’eau, les « méga-bassines », attendent d’être construites pour étancher la soif de l’agro-industrie. Ces projets ne profiteront qu’à une minorité d’agriculteurs et amplifieront encore les pénuries à venir, dénoncent ses opposants qui n’hésitent plus à recourir au sabotage et à la désobéissance civile pour tenter de les faire échouer. Les crispations autour des bassines révèlent alors un monde agricole à la croisée des chemins, écartelé entre la voie du productivisme et celle d’une agriculture paysanne et vivrière.

PARTIE 2 REPRISES

Flaminia Paddeu : cultiver dans les ruines du capitalisme

L’agriculture urbaine connaît, depuis deux décennies, un regain d’intérêt dans les grandes métropoles occidentales. De Paris à Detroit, des citadins en mal de nature, des ouvriers, des populations ségréguées, des militants contre l’artificialisation des terres cultivent dans les friches et les ruines que le capitalisme urbain a laissées derrière lui. La géographe Flaminia Paddeu a enquêté pendant plus de dix ans sur ces pratiques plurielles, ainsi que sur les alliances et les conflits qu’elles occasionnent.

Tactiques pour une stratégie foncière

Reprise de terres détaille dans ce texte de réflexions stratégiques 4 tactiques : le rachat de terres, la reprise de terres par l’usage, la bataille législative et juridique, l’action directe. Isolées, éparpillées, elles présentent toutes des limites. Mais pensées ensemble dans leur complémentarité, avec le maillage associatif, notamment le réseau InPact, qui favorise et rend possibles sur chaque territoire l’installation et la transmission paysannes, elles pourraient se renforcer mutuellement et constituer un levier puissant pour renverser la vapeur.

Attachées à la terre ? Les trajectoires sinueuses des agricultrices

Dans les années 1950, le monde agricole opère une violente mutation et la plupart des femmes se trouvent détachées du travail de la terre. Entre celles qui sont parties, celles qui sont restées et celles qui reviennent, différentes trajectoires se dessinent. Depuis quelques années, l’installation en agriculture de femmes aux profils nouveaux pour le milieu ouvre une brèche dans le modèle agricole classique, destructeur des sols et des vivants, et esquisse d’autres manières d’habiter les terres.

Panorama des initiatives foncières

Terre de liens
Forêts en vie
La foncière Antidote
Zone d’écologies communale

Cantines en lutte : vers de nouvelles solidarités alimentaires

Pour ne plus dépendre des invendus de la grande distribution, collectifs et associations inventent de nouvelles formes de solidarité alimentaire. Ces groupes d’entraide auto-organisés font de l’alimentation un vecteur de lutte contre la précarité et tentent de retisser un lien entre consommateurs et agriculture paysanne.

Décoloniser nos liens à la terre

La restitution de 400 000 hectares de terres aux peuples autochtones de Guyane pourrait ouvrir un horizon politique alternatif à celui porté par le récit moderniste du développement économique, en faisant valoir d’autres manières d’habiter la terre et de faire commun. Encore faudra-t-il parvenir à former de nouveaux fronts pour forcer la main de l’État français.

A4 : « Ceux qui traversent la mer connaissent la terre »

Reprise de terres a permis la rencontre entre des personnes d’horizons différents, mais dont les intentions communes sont de mettre en lien des réseaux urbains et ruraux. De ces réunions est née l’Association accueil agricole et artisanal (A4), un réseau d’entraide au carrefour des luttes de l’immigration, de l’antiracisme, des luttes paysannes et écologistes. A4 relie paysan·nes, artisan·es et personnes avec des problèmes de papiers, afin de permettre à ces dernières de vivre de façon digne. Dans ces pages, ils et elles racontent leurs ambitions et témoignent des difficultés rencontrées.

Offensive micropolitique

Ce texte a été écrit à trois, depuis nos expériences dans des collectifs de lutte et de vie, afin d’éclairer quelques angles morts collectifs systémiques. Nous tentons d’esquisser les conditions qui nous permettraient de faire front commun, de dépasser les conflits et écueils récurrents pour fonder des collectifs pérennes et politiquement féconds.

PARTIE 3 DÉPRISES

Bram Büscher & Rob Fletcher : Pour une conservation conviviale

Reprendre des terres pour s’en déprendre et laisser le temps et la place aux dynamiques spontanées du vivant : voilà qui peut paraître séduisant. Pourtant, la volonté de « conserver la nature » intacte plonge ses racines… dans la colonisation et le développement capitaliste et industriel lui-même ! Face à la conservation traditionnelle et ses alternatives contemporaines qui ne résolvent rien, Bram Büscher et Rob Fletcher développent des outils conceptuels et pratiques pour une authentique révolution de la conservation, qui aurait pour horizon une convivialité entre espèces.

Mille-feuille de la protection

Socialter a trié, avec l’aide de l’écologue Maxime Zucca, les différents types de protection que l’on peut trouver sur le territoire français, par ordre croissant de protection.

Quels mots pour déprendre la terre ?

En août 2021, au cours des rencontres Reprises de terres à la ZAD de Notre-Dame-des- Landes, des personnes issues des mondes de la paysannerie, du militantisme et de la recherche se sont réunies pour réfléchir, au cours d’un débat mouvant 1, à la meilleure manière de désigner les terres qui seraient retirées de tout rapport productif et largement soustraites à l’emprise humaine. Nous restituons ici une partie de leurs échanges. La version complète est à lire sur Terrestres.org.

Paysans de nature : l’élevage à la rescousse du sauvage

Dans le Marais breton, des agriculteurs préservent la biodiversité des zones humides grâce à des techniques agricoles respectueuses du vivant. À la ferme de La Barge, menée par Frédéric Signoret et Ludivine Cosson, cette reprise de terres repose sur une stratégie foncière affutée.

Réensauvagement : par-delà usage et protection

La déprise agricole et les initiatives de réensauvagement ouvrent des conflits entre usages paysans des terres et protection du monde sauvage, au point que cet antagonisme, qui découle directement de la séparation entre nature et culture, paraît parfois insoluble. Une troisième voie est pourtant possible : celle d’un réensauvagement revendiqué depuis les territoires, par des collectifs d’habitant·es, afin de constituer des espaces de vie sauvage dans les interstices d’une campagne paysanne revigorée.

Comment les friches nous enseignent l’espoir

Loin d’être un espace vide, délaissé, un « bidonville » du sauvage, la friche est un écosystème complexe qui connaît plusieurs métamorphoses, la vie rejaillissant spontanément des décombres. Surtout, elle peut être le lieu où s’inventent de nouvelles alliances entre vivants.

Le Lago Bullicante : l’insurrection des ruines

Le Lago Bullicante a émergé en 1992 du percement d’une nappe phréatique causé par le chantier d’un centre commercial. Ce lac, surgi au coeur d’un quartier populaire de Rome, est l’objet d’une défense acharnée des riverains contre les spéculateurs. Désormais reconnu comme monument naturel, il fait figure d’avant-garde en défrichant d’autres manières d’habiter l’urbain, et d’y laisser place aux vivants autres qu’humains.