Hors-série numéro 18

Hors-série numéro 18

Décroissance : Réinventer l'abondance

Aujourd’hui brandie comme un repoussoir par les partisans du capitalisme vert, la décroissance n’est pourtant pas une idée neuve. La société de croissance a en effet connu une première grande fronde anti-productiviste dans le sillage de mai 1968, portée par la contre- culture hippie, les critiques de l’aliénation et les penseurs de l’écologie émergente (Illich, Gorz, Charbonneau). Un demi-siècle plus tard, la catastrophe climatique devient chaque année plus palpable, et l’érosion de la biodiversité, plus alarmante. Alors que les illusions du « développement durable » et de la « croissance verte » se dissipent, la décroissance, longtemps cantonnée aux marges du débat public, connaît un puissant regain d’intérêt. Avec l’économiste décroissant Timothée Parrique, rédacteur en chef invité, Socialter explore les différents courants de cette famille de l’écologie, qui défend, non pas un avenir de privation, mais la possibilité d’une nouvelle abondance, plus égalitaire.

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PROLOGUE

Timothée Parrique. L'heure de la décroissance a sonné

Édito de notre hors-série par Timothée Parrique, économiste spécialisé sur la décroissance et rédacteur en chef invité.

Peut-on planifier la décroissance ?

Pour aller au-delà des choix individuels de simplicité volontaire et des alternatives locales, encore marginales, l’action publique peut-elle accompagner la décrue de certaines activités économiques et la descente énergétique ? Le philosophe Alexandre Monnin et l’économiste Cédric Durand explorent à deux voix les possibilités et les défis d’une véritable planification écologique.

Le bingo des poncifs anti-décroissance

Ces dernières années, la décroissance est brandie comme un épouvantail dans les discours des partisans du statu quo productiviste ou du capitalisme vert. Destinée à disqualifier toute critique ou proposition émanant de l’écologie radicale, les discours anti-décroissants ne prennent pas de gants. Quelques poncifs, ressassés ad nauseam, tiennent lieu d’argumentaire. Entraînez-vous à les repérer grâce à notre bingo !

Petite histoire des combats décroissants

Peut-on parler pour la décroissance de « vagues », comme on le fait pour le féminisme ? La critique de la croissance en tout cas a connu une première diffusion large en France dans les années 1970, associée à des luttes ancrées localement, avant de refluer. Depuis le début du XXIe siècle, alors que l’inquiétude écologique croît, les réflexions décroissantes connaissent un second souffle. Et sur le terrain, depuis les années 2010 et la ZAD emblématique de Notre-Dame-des-Landes, les combats anti-productivistes se multiplient.

PARTIE 1 LIMITES

PARTIE 1

Comment parler de décroissance sans d’abord défaire le mythe de la croissance ? Construit sur l'invisibilisation des nuisances et les fausses promesses d'une prospérité pour tous, son dernier avatar, la « croissance verte », veut nous faire croire en une compatibilité possible entre le système extractiviste et les limites planétaires. Zoom, dans cette partie, sur les limites à la croissance.

Petit lexique d'économie écologique

Née dans les années 1980, l’économie écologique propose une critique du modèle économique standard et s’intéresse à la complexité des systèmes socio-écologiques et à leur durabilité dans le contexte bouleversé de l’Anthropocène. Une vision à l’opposé de l’économie orthodoxe, qui ignore les contraintes biophysiques et n’appréhende les dégradations de la nature que comme des externalités négatives. En sept concepts, Sylvie Ferrari, professeure en économie écologique à l’Université de Bordeaux, donne quelques clés de lecture de ce champ disciplinaire encore méconnu du grand public.

Pour une contre histoire des « Trente glorieuses »

Les mordus de croissance ont leurs références historiques : baby-boom et bagnole pour tous, clopes Marlboro et nouveau frigo. Le sérieux de la dissuasion nucléaire et la joyeuse révolution adolescente de Mai-68. Entre insouciance et prospérité, voici l’image d’Épinal des « Trente Glorieuses » (1945-1975), mythe forgé par l’économiste Jean Fourastié en 1979, dont le vernis s’écaille dès que l’on gratte un peu sérieusement... Retour critique sur l’histoire d’une fable nationale.

En finir avec le mythe de la croissance verte

Face au défi écologique, la « croissance verte » est depuis quinze ans le leitmotiv des discours dominants. Problème : la perspective d’un « découplage » véritable entre expansion économique et pressions environnementales est sérieusement remise en cause par la science. L’ingénieur et économiste François Briens, co-auteur en 2019 avec Timothée Parrique du rapport « L’impossible découplage », décrypte point par point les limites du « verdissement » de la croissance.

Toujours plus : jusqu'à quand ?

Comment la planète encaisse-t-elle la course vers le « toujours plus » ? La croissance rend-elle plus heureux ? Est-il possible de réconcilier qualité de vie et préservation du vivant ? Réponses en données.

Ressources. Un défi pour l’humanité

Extrait de la bande dessinée Ressources. Un défi pour l’humanité (Casterman), sortie en octobre 2024, par Philippe Bihouix et Vincent Perriot.

Olivier De Schutter : « La croyance selon laquelle le progrès du PIB coïncide avec l’amélioration de la vie des populations est tout simplement fausse »

Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits humains et l’extrême pauvreté, Olivier De Schutter a remis à l’ONU en juin 2024 un rapport intitulé « Éliminer la pauvreté en regardant au-delà de la croissance ». Dans ce document, il affirme que la croissance du PIB ne permet pas, contrairement à ce que soutient la doxa libérale, de sortir les populations de la misère. Le temps est venu selon lui de repenser radicalement la lutte contre la pauvreté.

PARTIE 2 DÉCROISSANCES

PARTIE 2

Retour à la bougie ? Caricaturée à outrance, la pensée décroissante est en réalité riche d'une histoire longue, qui remonte aux premières critiques de l'industrialisation au XIXe. C’est aujourd’hui une "pensée plurielle, vivante, dynamique". En témoigne dans le champ académique la vitalité des degrowth studies, et un foisonnement de parutions, nourries par les apports de l’économie écologique, du marxisme et du féminisme. À gauche et au sein des écologistes, elle soulève des débats passionnés.

Les précurseurs de la décroissance

Qui sont les premiers objecteurs de croissance ? Des anarchistes naturiens du XIXe siècle à André Gorz, en passant par Simone Weil, Socialter a sélectionné huit figures qui ont inspiré les penseurs contemporains de la décroissance. Des précurseurs et précurseuses que les éditions du Passager clandestin s’emploient à faire connaître à travers une collection dédiée, créée par Serge Latouche en 2013 et désormais dirigée par l’historien François Jarrige et l’économiste Hélène Tordjman.

Bernard Charbonneau, premier objecteur de croissance

Partisan dès les années 1930 d’une limitation volontaire de la croissance, Bernard Charbonneau demeure relativement méconnu du grand public comme des militants écologistes. Patrick Chastenet, professeur émérite de sciences politiques à l’université de Bordeaux retrace la vie de celui qui avait identifié de des grands maux du siècle : l’accélération de la consommation et le solutionnisme technologique.

Morgan Bisson : en quête d’autonomie

Alors que la France savoure un moment de répit – court, mais elle ne le sait pas encore – entre deux confinements, de juin à septembre 2020, la photographe de 26 ans sillonne le pays à la rencontre de celles et ceux qui ont choisi de vivre et d’habiter en dehors de la société de consommation. Le livre documentaire qui en est issu, En quête d’autonomie a paru en 2021 en auto-édition.

Quel décroissant êtes-vous ?

Nourrie par la vitalité universitaire des « degrowth studies » et par de nouveaux apports marxistes et féministes, investie par les tenants de la décarbonation, la décroissance est aujourd’hui une « pensée plurielle, vivante, dynamique », comme l’écrivent François Jarrige et Hélène Tordjman (Décroissances, Le Passager clandestin, 2023). Et vous, quel décroissant êtes-vous ? Jancoviciste, anar frugal, convivialiste, éco- marxiste, ou peut-être décroissant réac’ ? Socialter a dressé le portrait type de six familles de la décroissance pour vous aider à trouver la vôtre.

Köhei Saitö : « Communisme ou barbarie, tel est le dilemme qui s'offre à nous »

Philosophe à l’aura internationale, rock star et phénomène de librairie au pays du Soleil-Levant, Kōhei Saitō est un marxiste japonais dont le best-seller, vendu à près d’un demi-million d’exemplaires dans son pays, vient de paraître en français sous le titre Moins ! La décroissance est une philosophie. Dans cet essai engagé et documenté, le philosophe marxiste japonais Kōhei Saitō esquisse les bases d’un « communisme de décroissance », seul à même, selon lui, de dépasser le capitalisme.

Remettre le travail a sa place

Chez les décroissants, les positions divergent sur la place et la définition à donner au travail. Mais toutes invitent à repenser son contenu, son organisation et le temps qu’il occupe dans nos vies.

Serge Latouche : « Le développement économique s’inscrit dans une démarche ethnocidaire »

Surnommé « le pape de la décroissance », Serge Latouche, économiste et professeur émérite de l’université Paris-Saclay, est l’un des principaux critiques français de la notion de croissance économique. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, comme L’Occidental­ isation du monde (La Découverte, 1989), critique virulente du mythe du « dév- eloppement », ou L’Invention de l’économie (Albin Michel, 2005), qui retrace l’histoire de notre « imaginaire économique », dominé par un rapport utilitariste et quantitatif au monde. Retour sur le parcours intellectuel d’une figure incontournable du mouvement décroissant.

PARTIE 3 CHANTIERS

PARTIE 3

Comment décider collectivement de nous auto-limiter ? Quelles seraient les institutions d'une décroissance démocratique ? Quelles stratégies politiques, quelles expérimentations et quelles luttes pour rompre avec le dogme de la croissance ? Pour passer de l’utopie à l’action, Socialter passe en revue les pistes pour sortir concrètement de la société de croissance.

Expérimentation décroissantes

Fermes à prix libres, coopératives de réparation, habitat léger... Socialter a sélectionné des expérimentations bien réelles pour une vie décroissante.

Dissiper le mirage du « cloud »

Partout, les résistances se multiplient face aux projets de data centers, colonne vertébrale d’un monde connecté et infrastructures indispensables à l’essor de l’intelligence artificielle. Par leurs mobilisations et leur travail d’enquête, citoyens, activistes et chercheurs contribuent à lever le voile sur un modèle insoutenable, écocidaire, qui touche déjà ses limites. Et ce faisant, remettent en cause la croissance sans fin du numérique.

Demain, l'exode urbain ?

À l’heure où 56 % de la population mondiale est concentrée en ville (une proportion qui devrait grimper à 66 % en 2050), le destin de l’humanité semble résolument urbain. Mais une telle concentration humaine peut-elle se maintenir dans ces espaces énergivores et polluants, complexes et vulnérables aux crises qui se multiplient ? Pour les penseurs de la décroissance, qu’ils soient économistes, géographes, architectes ou philosophes, la solution se trouve hors des métropoles, et notamment dans le modèle biorégional. En prenant la clef des champs, se déploie une autre manière d’habiter le monde dans le respect de ses limites.

Hélène Tordjman : Sortir de l'impasse agro-industrielle

Économiste hétérodoxe, Hélène Tordjman est enseignante-chercheuse à l’université Sorbonne Paris-Nord et membre de l’association technocritique Technologos. Spécialiste des processus de marchandisation de la nature (OGM, compensation carbone), elle montre dans son livre La Croissance verte contre la nature (La Découverte, 2021) que l’agriculture et le vivant constituent les nouvelles frontières du capitalisme vert. Pour Socialter, elle livre une réflexion sur les échelles auxquelles l’action est possible pour enclencher l’indispensable transformation de notre système agro-alimentaire.

Jeanne Guien : « Le consumérisme est une anomalie historique récente »

Dans l’arsenal capitaliste, le consumérisme est une arme lourde et de haute précision. Au cœur de ce modèle, l’achat se pose en condition de la vie en société et fait de chaque citoyen un segment de marché. En décortiquant l’histoire d’objets du quotidien, du gobelet jetable au smartphone, la chercheuse Jeanne Guien révèle ce qui les a propulsés du rang d’inventions à celui d’indispensables. En chemin, elle met à nu les stratégies du consumérisme et dessine des alternatives économiques, émancipatrices et décroissantes.

L’économie sociale et solidaire, une brèche dans le capitalisme ?

La décroissance est souvent qualifiée d’utopie et regardée comme une lubie d’intellos hors-sol. Pourtant, il existe aujourd’hui un modèle économique réel qui prospère dans l’ombre du capitalisme : l’économie sociale et solidaire (ESS). Timothée Parrique, rédacteur en chef invité de ce hors-série et Timothée Duverger, chercheur à Sciences Po Bordeaux, s’interrogent : l’économie sociale et solidaire serait-elle la pièce manquante au puzzle de la décroissance ?

Dette : s'en libérer pour décroître

La dette au XXIe siècle est le lieu d’un paradoxe saisissant. Parvenir à financer massivement la bifurcation écologique et ancrer nos sociétés dans un régime de décroissance suppose un endettement massif. Mais, pour ne pas ployer sous le poids des intérêts associés, il est indispensable de penser la monnaie après la dette, comme le suggèrent plusieurs travaux récents d’économie.

ÉPILOGUE

De Nausicaä à One Piece : les héros de manga, révolutionnaires et décroissants ?

Objets culturels transclasses et transnationaux à la popularité grandissante, en particulier dans notre pays où un livre sur sept achetés en est un, les mangas témoignent d’un curieux paradoxe. Alors que leur mode de production et de distribution est éminemment productiviste, du rythme effréné de travail de leurs auteurs et autrices à la myriade de produits dérivés, les histoires qu’ils nous content allient vive critique du néolibéralisme, éloge de la révolution sociale et espoir d’un avenir post-capitaliste. Auteur de l'ouvrage Les Sensei de la décroissance (Payot, 2024) et fondateur de l'association décroissante Alter Kapitae, Gabriel Malek nous emmène à la rencontre de trois figures emblématiques du genre.