Des défections de cadres, il n’y en a certes pas légion. Trop peu pour constituer le début d’un phénomène de masse, mais suffisamment pour qu’on ait envie de les scruter d’un peu plus près. Que recherchent ces privilégiés qui, malgré le fait d’être les principaux bénéficiaires de l’ordre social et économique, entrent
en rébellion contre lui?
Numéro 46
Les cadres se rebiffent
Ingénieurs en rupture de ban, traders devenus militants écologistes, hauts fonctionnaires infiltrés, ex-communicants s'improvisant néo-zadistes… On ne compte plus les exemples de cadres sup' qui, contre toute attente et souvent avec fracas, rompent avec la trajectoire dorée sur laquelle leurs brillantes études les avaient placés, parfois par refus de parvenir. Animé par une perte de sens professionnelle, une déréliction face aux périls climatiques ou un sentiment d’injustice sociale, ce bloc rebelle peut-il jouer aujourd'hui un rôle historique, comme jadis la petite-bourgeoisie et le prolétariat avaient su s’unir contre le pouvoir en place ? Ou ne porte-il en bandoulière que les aspirations d’une classe frustrée, désireuse d’agir dans son propre intérêt ? Dans ce dossier, Socialter examine les raisons, les modalités, l’ampleur et les possibilités de la révolte des CSP+.
DOSSIER
Pourquoi déserter ?
Nous ne servirons plus
Des reconversions fracassantes, nous en connaissons tous. Il y a cette amie d’une amie qui a quitté son poste de consultante pour ouvrir une épicerie bio en Ardèche, ou encore ce cousin qui a abandonné ses brillantes études pour faire le tour du monde. Beaucoup moins fréquentes sont, en revanche, les ruptures biographiques doublées d’une affirmation politique radicale. Que celles-ci soient motivées par une lecture, des rencontres, une perte de sens professionnelle ou la confrontation à une injustice, elles ont souvent comme point de départ la prise de conscience des désastres écologiques à venir et, comme moteur, la volonté de les enrayer. Cinq itinéraires courageux et engagés, preuves qu’il est rarement impossible de dire «non».
Les ingés ont-ils changé de camp ?
Depuis quelques années, la question écologique fait une entrée fracassante dans les écoles d’ingénieurs. Luttes sur les campus, remise en cause de l’idée de croissance infinie, reconversions professionnelles... Les agents de la «société technicienne» sont-ils en train de se rebeller contre elle?
Qui sont les infiltrés ?
Ils ont tout pour voter Macron, et pourtant... Depuis 2018, une communauté de cadres en rupture avec la doxa économique dominante s’est rassemblée autour du blog Les Infiltrés. Leur but : témoigner, se rassembler et mener la bataille des idées.
Jonctions et trahisons
Depuis 1789, chaque moment d’effervescence politique repose en France la question de l’alliance entre la bourgeoisie progressiste et le peuple.
Le XIXe siècle français est ainsi ponctué de communions et de divorces sanglants entre les élites républicaines et le Paris populaire. Les dissidents de la bourgeoisie se font ensuite socialistes, «antifascistes» en 1936, «gauchistes» en Mai 68. Mais aujourd’hui, la bourgeoisie rebelle et les classes populaires peinent à converger.
Bourgeoises révolutionnaires
J’ai grandi dans les beaux quartiers et fait de belles études, d’accord. Mais je me suis surtout illustrée en prêtant main-forte aux classes opprimées.
Refuser de parvenir
Né dans les milieux anarchistes de la Belle Époque, formulé par l’instituteur syndicaliste révolutionnaire Albert Thierry, réinventé par les étudiants rebelles de Mai 68, le « refus de parvenir» bouscule les formes imposées de la réussite sociale. Alors que l’idéologie méritocratique et l’horizon de l’opulence sont en crise, cette éthique de vie semble trouver aujourd’hui un nouvel écho dans la mouvance écologiste.
Mouvement climat, l'épreuve du terrain
Extinction Rebellion, Youth for Climate... depuis 2018, une nouvelle génération d’activistes écologistes radicaux, regroupés ou non au sein de collectifs, a rejoint l’arène des luttes. L’arrivée de ces militants étiquetés «CSP+» bouscule le mouvement social, sa sociologie et ses usages.
L'ENTRETIEN FLEUVE
« L'écoféminisme oblige à radicaliser l'écologie »
Depuis quelques mois, l’écoféminisme refait parler de lui, au point de s’imposer comme l’un des courants qui compte dans l’écologie politique actuelle. Dans son livre Être écoféministe. Théories et pratiques, paru en 2020, Jeanne Burgart Goutal a livré la première grande synthèse sur ce mouvement, récompensée d’un prix au printemps par la Fondation de l’écologie politique. La professeure de philosophie au lycée Saint-Charles de Marseille y narre aussi la façon dont l’écoféminisme a changé sa vie.
GRAND REPORTAGE
Socotra : l'île aux dragons
Située entre la mer d’Arabie et l’océan Indien, à plus de 300 kilomètres des côtes, l’île de Socotra est longtemps restée vierge de toute présence humaine, jusqu’à ce que le commerce de l’encens et des épices en fasse une destination pour d’aventureux commerçants attirés par ses légendes. Aujourd’hui territoire yéménite, l’archipel présente un équilibre fragile, que le réchauffement climatique et les perturbations politiques font vaciller.
ENQUÊTE
La haine des haies
Havres de biodiversité, régulateurs climatiques, sources de combustible, filtres naturels... les haies, aujourd’hui parées de maintes vertus, connaissent un retour en grâce et les incitations à replanter abondent. Cela reste toutefois insuffisant pour stopper une érosion qui demeure vertigineuse.
PLAT DE RÉSISTANCE
Le camouflage contre la surveillance de masse
Maquillage brouillant la reconnaissance faciale, lunettes anti-caméras infrarouges ou cape d’invisibilité numérique... face au développement des technologies de surveillance, militants et artistes redoublent d’inventivité. Mais peut-on vraiment battre la machine?
RESSOURCES CRITIQUES
Laisser tomber le béton ?
Utilisé depuis l’Antiquité, le béton a imposé sa suprématie dans la construction au xxe siècle, grâce à l’incorporation
de l’acier qui a permis de créer le béton armé. Économique, abondant, il a permis une expansion matérielle sans précédent. Mais les effondrements de grandes structures en béton armé révèlent le caractère périssable de cette «pierre artificielle», tandis que son hégémonie continue d’engendrer pollution, corruption et uniformisation du monde.
AU LABO
Votre steak, saignant ou vert ?
La viande de synthèse suscite les espérances de certains: celles d’une alimentation «propre», débarrassée de la mise à mort animale, d’une alternative écologique à l’élevage, ou encore d’une solution pérenne face à l’augmentation de la consommation de produits carnés dans le monde. Mais à y regarder de plus près, les promesses de cette industrie naissante ne sont, pour l’heure, que purs fantasmes.
CHRONIQUES
Résister par l'entraide
Juliette Rousseau est journaliste, autrice et éditrice aux Éditions du Commun. Militante de terrain, elle a coordonné de multiples événements politiques internationaux (contre-G8, contre-G20, etc.) et s’est attachée à questionner les pratiques d’organisation militante dans l’ouvrage Lutter ensemble. Pour de nouvelles complicités politiques, paru aux éditions Cambourakis en 2018. Elle tient cette chronique pour Socialter.
LES DÉTERRÉS
La faiblesse de la puissance
Au fil de ses numéros, Socialter exhume la pensée d’intellectuels critiques qui auraient mérité un peu plus de lumière en leur temps, mais nous aident toujours à comprendre la société contemporaine. Pour cette édition: le penseur autrichien Leopold Kohr
BLEU BLANC VERT - LA CHRONIQUE PRÉSIDENTIELLE
Le nucléaire est-il écologique ?
À chaque numéro, Socialter décrypte un enjeu écologique lié aux présidentielles de 2022 pour révéler les clivages et affrontements idéologiques qui se jouent derrière le verdissement des programmes des candidats. Dans ce numéro, nous nous attardons sur la question nucléaire, point névralgique et historique des Verts.
L'IDÉE DONT VOUS ÊTES LE HÉROS
Quel peuple êtes-vous ?
Aussi intempestif qu’ambigu, l’usage actuel du mot « peuple » peut, selon le contexte et le locuteur, renvoyer à des imaginaires politiques radicalement opposés. Avant qu’il ne fasse bientôt son retour fracassant dans la bouche des candidats à l’élection présidentielle, petite remise à niveau des sens de ce terme.
CARNETS DE CRISES
On n'achève pas un glacier qui sauve un peuple
Philosophe et directeur d’études à l’EHESS, Olivier Remaud a récemment publié Penser comme un iceberg (Actes Sud, 2020). Fasciné par les glaciers, dont la fonte s’accélère, il nous invite à faire un détour par les récits légendaires pour modifier notre regard sur ces géants de glace et sur nous-mêmes.
J'HABITE...
J'habite... avec mes voisins
Ils voulaient vivre autrement : ensemble. À Romainville, en Seine-Saint-Denis, Hélène, Laurent, Félix et les autres ont acheté une parcelle et y ont fait construire six logements dotés de plusieurs espaces partagés. Un «rêve» qui participe d’une densification pavillonnaire, au prix de cinq années de bataille.
L'OEIL DU LOW-TECH LAB
Le boulanger solaire
En partenariat avec le low-tech lab, Socialter braquera le projecteur sur une innovation ou démarche low-tech pour éclairer la voie vers un monde aux technologies sobres et durables.
EN RÉPONSE À...
En réponse aux dévots de la croissance
Confrontée à des attaques aussi incessantes qu’injustes, l’idée de décroissance peine à émerger dans le débat public. Quant à ceux qui s’en réclament, ils sont au mieux qualifiés de pisse-froid, au pire de dangereux extrémistes. Dans cette tribune, l’économiste Timothée Parrique, auteur d’une thèse sur le sujet (The Political Economy of Degrowth, 2019), rappelle les fondements démocratiques et égalitaires de la décroissance ainsi que le projet de société qu’elle porte: une économie plus juste, et donc plus heureuse.
CHANGER DE VIE... ET APRÈS ?
« Ici, c'est pas cui-cui les petits oiseaux ! »
Dans le Bugey avec Caroline Ledédenté, la polytechnicienne qui a tout plaqué pour faire du pinard.