Chiffrages, planifications, expérimentations et projets alternatifs se multiplient ces dernières années en matière de politiques de l’emploi, promettant non seulement de mettre l’activité économique sur les rails de la reconversion écologique, mais aussi d’offrir à tous un salaire digne et un travail utile. À l’approche de l’élection présidentielle, retour sur quelques propositions qui, malheureusement, n’ont été que peu débattues.
Numéro 51
L'écologie recrute !
Doit-on opposer raison économique et urgence écologique ? Produire moins signifie-t-il nécessairement travailler moins pour gagner moins ? Oui, arguent les tenants d’un modèle productiviste et court-termiste, incapables de penser le monde autrement qu’en parts de marché et gains de productivité. Non, répondent ceux qui imaginent et mettent déjà en application les moyens de sortir l’économie de son ornière croissantiste. Que cela passe par revaloriser des métiers déconsidérés ou en inventer de nouveaux, proposer un meilleur partage du temps de travail, imaginer la reconversion écologique de certains secteurs comme l’agriculture, l’industrie, la production d’hydrocarbures ou l’aéronautique, les pistes sont nombreuses. Dans ce dossier, Socialter montre que l’écologie pourrait recruter dès aujourd’hui une foule de travailleurs dont les plus précarisés, mais qu’elle est aussi la promesse à terme d’une société où l’emploi serait moins aliéné, plus digne et plus utile pour tous, tout en ne précipitant pas la destruction des milieux dont nous dépendons.
DOSSIER
Alors que le sujet est souvent agité comme un épouvantail pour freiner les mesures de décarbonation de l’économie française, plusieurs organismes ont tenté de modéliser une évolution de l’emploi compatible avec la transition écologique. Résultat: loin de la grande casse redoutée, décarboner serait même un moyen de créer du travail. Sortez vos calculettes...
Turbins du turfu
La pandémie de Covid-19 a mis en lumière deux réalités insupportables. Premièrement: les travailleurs dont la société a le plus besoin sont aussi les plus précaires. Second constat: les consultants, publicitaires, marketeurs, financiers sont non seulement ceux qui ont, la plupart du temps, le moins à souffrir des soubresauts du monde, mais sont aussi ceux qui contribuent le plus à sa destruction. Sans trop s’avancer, une société écologique digne de ce nom se passera bien d’eux, en même temps qu’elle revalorisera tous ces emplois essentiels aujourd’hui déconsidérés: infirmiers, éboueurs, cheminots, instituteurs, etc. Pas question, cependant, d’abandonner nos cadres déchus sur le bas-côté! Donnons-leur l’occasion, une dernière fois, de transformer «les contraintes en opportunités» et de faire de leur destitution une chance à saisir dans leur parcours de vie, une occasion pour rebondir dans un de ces nombreux emplois qui, bientôt, leur tendront les bras. Ci-joint les fiches de poste. Dans l’attente de leurs CV et lettre de motivation. Cordialement.
L’agriculture française est depuis la Seconde Guerre mondiale guidée par des logiques productivistes. Dans un modèle agricole entièrement régi par l’agroécologie et la permaculture – qui limiterait l’ajout de pesticides et l’utilisation de machines high-tech –, quels seraient les emplois associés et dans quelle dynamique de relocalisation les territoires seraient-ils embarqués?
Pas de reconversion écologique d’ampleur sans un retour en force de la puissance publique. Mais l’État n’est-il pas une institution anti-écologique par essence?
Une industrie écologique est-elle possible ?
Depuis le XIXe siècle, l’industrie est mère de toute les dégradations environnementales. Comment imaginer une transformation radicale de ce secteur certes polluant, mais essentiel à l’économie?
Alors que Total compte reconvertir sa raffinerie de Grandpuits (Seine-et-Marne) en «une plateforme zéro pétrole de biocarburants et bioplastiques», Adrien Cornet, délégué CGT sur le site, ne cesse de dénoncer le «greenwashing» de la multinationale. Pour l’ouvrier, la transition écologique ne pourra se faire qu’en donnant aux travailleurs la maîtrise de leur outil de production.
Dans la région toulousaine, qui doit sa prospérité à une spécialisation dans la construction aéronautique, les initiatives se multiplient pour refuser de rester otage de la mono-industrie. Parmi elles, le collectif Pensons l’aéronautique pour demain (PAD) a travaillé une année durant sur un plan qui imagine un autre avenir pour l’emploi.
L'ENTRETIEN FLEUVE
Gilets jaunes éborgnés, lycéens fichés, écologistes assignés à résidence, «décrocheurs de portraits» et activistes antinucléaires traînés devant les tribunaux... En France, s’engager dans une forme de contestation radicale, c’est prendre le risque de voir se déchaîner sur soi et ses camarades de lutte une violence implacable: celle de l’État. La politologue Vanessa Codaccioni a saisi, dans plusieurs livres, la diversité de son arsenal répressif, d’autant plus resserré aujourd’hui que, sous l’effet de la menace terroriste, il encourage désormais les citoyens à se surveiller entre eux.
GRAND REPORTAGE
Les filles du Lac Victoria
Tout à l’ouest du Kenya, sur les rives du lac Victoria, l’agriculture intensive et la pollution humaine ont fait chuter les populations de poissons. Autrefois poumon économique de cette région rurale, le lac n’offre plus les ressources suffisantes pour nourrir les habitants dont le nombre ne cesse pourtant de croître. Beaucoup de familles choisissent donc d’envoyer leurs filles travailler en tant que domestiques dans les pays du Golfe où elles sont bien souvent réduites en esclavage.
ENQUÊTE
Cobalt, nickel, cuivre, terres rares... Les ressources minérales des eaux profondes aiguisent l’appétit des États dotés d’une grande aire maritime. Thuriféraire de l’exploitation sous-marine à l’international, jouant la prudence et invoquant «l’exploration» sur la scène nationale, la France n’est pas la dernière à rêver d’aller gratter le plancher océanique, sans trop s’attarder sur la dévastation probable des écosystèmes.
PLAT DE RÉSISTANCE
Auto-défense féministe : Casser les barrières mentales
« Ne nous libérez pas, on s’en charge » pourrait être le slogan de l’autodéfense féministe. Si la plupart des femmes qui s’inscrivent à ces cours encore assez confidentiels pensent y acquérir quelques méthodes issues des arts martiaux pour faire face aux agressions, elles en ressortent surtout dotées d’une puissance bien plus grande, à la fois collective et politique.
RESSOURCES CRITIQUES
Cuivre : les bons conducteurs se font rares
Troisième métal le plus utilisé après le fer et l’aluminium, et l’un des premiers connus de l’humanité avec l’or, le cuivre est omniprésent quoique souvent invisible. Exploité depuis le XIXe siècle pour ses capacités de conductivité exceptionnelles, le voici à un tournant, à l’aube d’une nouvelle phase d’électrification massive en vue. Mais sa production, en plus d’être énergivore et de nécessiter des quantités d’eau astronomiques, s’effectue en exploitant des gisements de moins en moins riches et accessibles.
CHRONIQUES
François Bégaudeau : Vivre sa vie
François Bégaudeau est écrivain, critique littéraire, scénariste et réalisateur. Auteur de plusieurs romans dont La Blessure, la vraie (Verticales, 2011) et En guerre (Verticales, 2018), il a récemment signé l’essai Notre joie (Pauvert, septembre 2021). Il tient une chronique régulière pour Socialter et livre deux fois par mois un podcast de critique de cinéma, La gêne occasionnée.
AU LABO
Neuralink : implants foireux
La start-up d’Elon Musk, qui développe des implants cérébraux pour hybrider l’homme avec la machine, multiplie les annonces grandiloquentes pour réactiver un vieux rêve chimérique repris par le transhumanisme: améliorer l’humanité via la technologie.
CHRONIQUES
Juliette Rousseau est journaliste, autrice et éditrice aux éditions du Commun. Militante de terrain, elle a coordonné de multiples événements politiques internationaux (contre-G8, contre-G20, etc.) et s’est attachée à questionner les pratiques d’organisation militante dans l’ouvrage Lutter ensemble. Pour de nouvelles complicités politiques, paru aux éditions Cambourakis en 2018. Elle tient cette chronique pour Socialter.
LES DÉTERRÉS
Mourir et aimer
Pourquoi sommes-nous de ce monde ? Pourquoi vivons-nous, mourons-nous ? L’anthropologue Deborah Bird Rose (1946-2018) a puisé dans ses années d’immersion auprès des Aborigènes d’Australie les fondements d’un « existentialisme écologique » au sein duquel les êtres sont tous unis par une prérogative : assurer la perpétuation de la vie elle-même.
BLEU BLANC VERT - LA CHRONIQUE PRÉSIDENTIELLE
À chaque numéro, Socialter décrypte un enjeu écologique lié à la présidentielle de 2022 pour mettre en lumière les clivages et affrontements idéologiques qui se jouent au-delà des calculs politiques. Dans ce numéro, nous nous interrogeons sur l’impact que pourrait avoir le conflit ukrainien sur le discours écologique et les conséquences potentielles sur les choix énergétiques.
L'IDÉE DONT VOUS ÊTES LE HÉROS
Quel âge de départ à la retraite êtes-vous ?
Votre grand-mère vous a-t-elle un jour lancé, sur un ton de reproche : « À ton âge, gamin, je travaillais déjà ! » ? Vous auriez alors beau jeu de lui rétorquer : « À ton âge, Mamie, je travaillerai sûrement encore ! », tant l'âge légal de départ en retraite ne cesse d'être reporté, gouvernement après gouvernement. Au-delà des fausses vérités qui le justifient par le vieillissement démographique, quelles philosophies recèlent ces propositions concurrentes ?
CARNETS DE CRISES
Sous l’effet des pesticides et de l’importation de pollinisateurs inadaptés à nos écosystèmes, des populations entières d’insectes sont décimées. Yves Élie, apiculteur des Cévennes, tente de protéger une espèce endémique qu’il chérit et qui le fascine chaque jour un peu plus : l’abeille noire. Il nous raconte cette lutte patiente, qui l’oppose parfois aux apiculteurs conventionnels, mais aussi les joies quotidiennes procurées par le fait d’avoir lié son destin à celui d’Apis mellifera mellifera.
J'HABITE...
Un mélange de terre, d’eau et de fibres végétales, empilé à la main pour édifier des murs. Procédé ancestral, délaissé au fil du XXe siècle, la bauge prend sa revanche. Derrière son aspect rustique, elle cache un confort hygrothermique naturel et un bilan carbone quasi imbattables qui ringardisent les matériaux high-tech.
L'OEIL DU LOW-TECH LAB
Le plastique en cure de rehab
L’entreprise Rehab opère en bord de mer, à Concarneau, et offre une seconde vie aux déchets plastiques. Comment ? En les recyclant localement en des créations singulières, utiles et durables.
CHANGER DE VIE... ET APRÈS ?
À 37 ans, Florence Robert a quitté son travail de calligraphe pour devenir bergère et élever des brebis dans les Corbières (Aude). Une reconversion pour accomplir un rêve d’enfant, celui de vivre loin de tout, en pleine nature. Mais au-delà du mythe, l’expérience s’avère parfois difficile. Treize ans après sa reconversion, elle a préféré abandonner ce métier qui l’a tant usée.